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d’inconciliable avec ce que peuvent penser les hommes les plus conservateurs. Que disait M. Thiers ? Il exprimait tout simplement l’opinion qu’il était nécessaire de donner plus de fixité, plus de régularité aux pouvoirs publics, plus de consistance au régime actuel. Comment parlait de son côté M. d’Audiffret-Pasquier dans son discours sur la dissolution ? « Ne sortons pas, a-t-il dit, de la forme actuelle, de la république au bon et grand sens du mot, la chose publique gérée dans l’intérêt de tous, avec le concours de tous les partis… Nous avons apporté notre concours au gouvernement, acceptant la forme actuelle sans réticence et sans arrière-pensée… » Au fond l’idée est la même. Pourquoi dès lors compromettre ces élémens de conciliation dans des luttes nouvelles dont nul ne peut prévoir l’issue ? Pourquoi ne pas se rallier à ce message, qui n’a pas certainement la prétention d’engager l’avenir, qui est tout simplement le programme d’une politique prévoyante et pratique ?

Il y a des momens où il faut savoir se défendre des subtilités de métaphysique parlementaire, des passions de combat, des entraînemens, des luttes trop vives de parole, des conflits d’influence. La situation de la France ne se prête plus à ces jeux, qui ont eu leur noblesse, mais qui ne remédient pas à tous les maux, et tout ce qui s’est passé depuis deux mois nous rappelait un discours que M. de Montalembert adressait à la chambre de 1851 dans une heure où le pays était calme, où l’assemblée était agitée et où il y avait aussi des conflits de pouvoirs, a Considérez, disait-il, l’état du pays. Le pays était tranquille ; il jouissait de la paix que nous lui avions faite… Qu’est-ce qui l’a agité ? Qu’est-ce qui l’alarme en ce moment ? Permettez-moi de m’adresser du haut de cette tribune aux deux pouvoirs… Je leur dis à tous deux d’une voix loyale et respectueuse : Cessez cette guerre qui ne peut profiter qu’à nos ennemis communs. Je leur demande à tous deux grâce pour le pays, grâce pour son repos, pour son travail, pour son crédit… » Il y a plus de vingt ans de cela, les circonstances sont bien autrement graves aujourd’hui. Ce n’est plus le moment de recommencer ces luttes, de risquer pour des victoires de parti cette paix qui peut inaugurer heureusement l’année nouvelle, qui, sans faire tort à personne, est certainement tout d’abord l’œuvre d’un gouvernement qui a résolu ce double problème d’arracher notre pays à la guerre étrangère et à la guerre civile.

Parce que la France a retrouvé un peu de repos après les formidables événemens qui l’ont remuée jusqu’au plus profond de son existence nationale, ce n’est pas une raison pour croire qu’on puisse tout se permettre et qu’on en ail déjà fini avec ce funeste passé d’hier. Ce passé, il reparaît au contraire à tout instant et sous toutes les formes ; il fait sentir son aiguillon, il pèse sur nous du poids de ces désastres qu’il faut maintenant réparer, et dont le secret n’est même pas encore entière-