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assurer au trésor une ressource inespérée de 30 millions; nous avons voulu rappeler en même temps les enquêtes ouvertes et publiées de 1866 à 1869, parce qu’elles ont eu pour résultat de constater les souffrances trop réelles des saliniers de l’ouest, qu’elles ont indiqué, autant qu’on peut le faire en semblable matière, le remède de ces souffrances, et que depuis rien d’important n’a été fait pour l’appliquer. La faute en est sans nul doute aux circonstances inouïes que nous venons de traverser; mais, même dans les temps calmes et réguliers, nous ne sommes que trop disposés à laisser la proie pour courir après l’ombre, à nous passionner pour des abstractions, au détriment des idées pratiques. Nous oublions qu’au moment où l’un des plus grands hommes de notre histoire, Colbert, a voulu abolir l’absurde système des douanes intérieures, il a passé quatre ans à se renseigner et à préparer les nouveaux tarifs, et que, grâce à la prudente habileté de son administration, à sa sollicitude étendue aux détails les plus indifférens en apparence, il a su en six ans réduire les dépenses de 53 millions à 32, obtenir un excédant de 30 millions, et faire entrer au trésor 50 millions de plus que sous ses prédécesseurs, par les économies réalisées sur les frais d’exercice, par l’activité que donnait à la consommation la juste proportion des tarifs, par la répression de la fraude et des malversations impudemment commises par les comptables.

Aujourd’hui nous n’avons plus à craindre les détournemens, les exactions et les manœuvres frauduleuses dont les plus grands personnages eux-mêmes se rendaient coupables sous l’ancien régime. Les contribuables ne paient que ce qu’ils doivent payer, l’état encaisse tout ce qu’ils ont payé, et nous connaissons à un centime près les sommes qui sortent de notre bourse pour entrer au trésor et qui reviennent du trésor à notre bourse; mais par malheur les questions budgétaires, les questions de tarifs, à la fois si importantes et si obscures, si décisives même pour la prospérité et la puissance du pays, n’obtiennent pas chez nous l’attention qu’elles méritent. Nous improvisons nos budgets avec une désinvolture sans égale, et quand nous voyons les chapitres les plus importans des recettes ou des dépenses défiler à la minute devant nos législateurs, nous nous rappelons le vers que Mme Pernelle adresse à sa bru :

Vous marchez d’un tel pas qu’on a peine à vous suivre,


et nous n’avons plus à nous étonner des nombreux mécomptes que nous réservent des fixations hâtives et insuffisamment étudiées.


CHARLES LOUANDRE.