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sans désorganiser le budget des recettes; mais l’opposition, qui s’inquiétait peu de l’équilibre budgétaire, n’avait point désarmé. De nombreuses pétitions furent rédigées pour réclamer soit un dégrèvement, soit l’entière franchise, et au mois de janvier 1848 le gouvernement adressa aux chambres de commerce un questionnaire pour savoir s’il était opportun de retrancher les deux tiers des droits établis. « La gravité des manifestations, disait le questionnaire, doit attirer toute la sollicitude du gouvernement. Sans doute, c’est pour lui un devoir de résister aux entraînemens les plus honorables, mais c’est également son devoir de reconnaître et de constater l’opinion publique, et de concilier, si cela est possible, avec la réalisation des vœux qu’il doit respecter, l’intérêt de l’état qu’il doit défendre. » Le questionnaire rappelait en même temps que, la consommation étant de 240 à 245 millions de kilogrammes, un dégrèvement des deux tiers réduirait de 48 millions le revenu public, et qu’en supposant que le trésor retrouvât dans une consommation plus active ce que le dégrèvement lui faisait perdre, il fallait arriver à 700 millions de kilogrammes pour établir les compensations fiscales. Tous les problèmes que pouvait soulever le maintien ou l’abaissement des droits étaient posés avec une grande clarté et une grande bonne foi, et sur tous les points du territoire les conseils-généraux, les chambres de commerce, les propriétaires des mines et des marais salans, se mettaient en mesure d’y répondre, lorsque la révolution de février vint brusquement suspendre l’enquête et laisser à la merci du gouvernement provisoire, c’est-à-dire à l’arbitraire de quelques dictateurs de hasard, la solution des difficultés que le gouvernement déchu ne croyait pouvoir résoudre qu’après avoir consulté tous les intérêts et fait appel à toutes les expériences.

Le parti que les surprises de l’émeute venaient de porter au pouvoir avait promis pendant dix-huit ans « d’améliorer le sort des masses; » mais il n’est pas donné aux hommes d’improviser le bien-être, et la situation économique du pays, profondément troublée par les événemens, ne démentit que trop les utopies des réformateurs de l’ordre social. Il fallait cependant faire quelque chose pour ce peuple qui mettait généreusement trois mois de misères au service du nouveau gouvernement, et l’on ne trouva rien de mieux que de supprimer l’impôt du sel. 60 millions furent ainsi rayés d’un trait de plume du budget des recettes; mais cette suppression laissait dans le trésor un vide trop grand pour qu’il fût possible de la maintenir. Tandis que d’un côté on faisait disparaître une taxe qui ne mettait à la charge des contribuables que 1 franc 60 centimes environ par tête, on doublait, par les 45 centimes, la contribution foncière, et cet énorme accroissement n’en laissait pas