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La restauration, qui devait payer un milliard à la coalition européenne pour débarrasser le territoire de la présence de l’étranger, n’eut garde de toucher à l’impôt du sel. A la veille même de la révolution de juillet, M. de Chabrol, dans son Rapport au roi sur l’administration des finances, en faisait valoir les avantages. Il constatait que, malgré les droits, la consommation ne s’était jamais ralentie, qu’elle était en 1829 de 7 kilogrammes 400 grammes par individu, et le produit total de la taxe de 60,120,130 francs, ce qui donnait une moyenne de 2 francs par tête. « La place importante que cette contribution occupe dans le budget de l’état, disait M. de Chabrol, ne permet pas d’en modifier le tarif sans s’exposer à déranger l’équilibre de notre situation financière, et ce sera toujours une mesure difficile et embarrassante que de proposer une réduction qui pourrait considérablement affaiblir cette ressource indispensable, et forcer ensuite le gouvernement à redemander de plus onéreux sacrifices à ceux-là mêmes qui auraient obtenu un dégrèvement dont les résultats auraient trompé sa prévoyance[1]. » C’est en grande partie le droit de 28 fr. 50 cent, par quintal métrique qui a permis à la restauration de constituer un fonds d’amortissement annuel de 79 millions, et de rembourser 34 millions de rentes. Les contribuables ne se plaignaient pas, car l’impôt était en définitive fort léger, et, réparti sur une faible consommation de chaque jour, il passait inaperçu; mais la révolution de juillet vint tout à coup lui susciter de nombreux adversaires. L’opposition radicale de 1830 s’en fit une arme contre le nouveau gouvernement, parce qu’il faut toujours aux oppositions une formule vulgaire et banale qu’elles exploitent, à défaut de motifs plausibles et sérieux, contre les pouvoirs qu’elles veulent renverser. — Louis-Philippe, disait-on, touche 12 millions de liste civile, et cette somme est en partie prélevée « sur la nourriture du peuple.» — Les quêteurs de popularité répétèrent à la chambre et dans les journaux que l’impôt du sel faisait peser sur les classes laborieuses des charges hors de proportion avec leurs ressources, qu’il ruinait la grande pêche et la pêche côtière, qu’il était contraire aux intérêts de l’agriculture, qu’il ne rappelait que trop la désastreuse administration des gabelles, et qu’il devait disparaître comme toutes les taxes qui frappaient le prolétariat. Le gouvernement, tout en s’efforçant d’améliorer l’exercice, jugea, comme M. de Chabrol, qu’on ne pouvait supprimer la taxe

  1. Le rapport de M. de Chabrol est une œuvre des plus remarquables. Il fut présenté à Charles X le 15 mars 1830, et il prouve avec la dernière évidence qu’en fait d’administration financière la restauration n’a rien à envier aux plus habiles gouvernemens. C’est à deux de ses ministres, le baron Louis et M. de Villèle, qu’est due notre organisation moderne dans ce qu’elle a de sage et de pratique.