Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
I.

Les érudits ont longuement disserté sur la question de savoir à quelle époque remontait en France la gabelle du sel. Les uns en ont attribué rétablissement à Philippe-Auguste, les autres à saint Louis ou à Philippe de Valois. Ou trouve en effet, dès le XIIe siècle, des droits sur cette denrée; mais ces droits n’étaient que des péages féodaux, et la gabelle, comme impôt royal, date très certainement du règne de Louis X. Une ordonnance de ce prince porte que, les fraudes et les exactions commises par les marchands de sel étant une cause de misère pour le peuple, le commerce de cette denrée sera fait à l’avenir par les officiers royaux. En 1342, Philippe de Valois, pour régulariser l’action de ces officiers, institua, sous le nom de greniers à sel, des juridictions qui connaissaient de tous les faits relatifs à la vente de cette marchandise, à la perception des taxes dont elle était frappée, et qui jugeaient au criminel les fraudeurs et les contrebandiers. Ce fut là l’origine du monopole que le gouvernement de l’ancien régime a exploité pendant cinq cents ans avec une rigueur qui ne rappelle que trop l’implacable dureté du fisc impérial romain. Le sel, pour parler le langage du temps, fut incorporé au domaine, c’est-à-dire qu’il devint la propriété exclusive du roi, une sorte de substance privilégiée que Dieu avait créée tout exprès pour alimenter son trésor. On ne pouvait l’extraire des mines ou des eaux de la mer sans son autorisation, on ne pouvait le vendre à d’autres qu’à lui, l’acheter à d’autres qu’à lui, et toujours au prix qu’il fixait lui-même.

Le gouvernement, maître absolu de la matière imposable, ne se contentait pas d’exagérer les tarifs de vente et de les doubler arbitrairement d’un jour à l’autre; il forçait les contribuables à prendre chaque année une quantité de sel déterminée, ajoutant ainsi la consommation forcée au monopole, et, pour s’assurer que le fisc ne perdait aucun de ses droits, il exerçait un espionnage de tous les instans ou plutôt une inquisition aussi ombrageuse que l’inquisition catholique. Cette surveillance était d’autant plus vexatoire qu’elle était confiée à des commis ramassés dans les bas-fonds de la société, que l’on avait soin de choisir, comme le dit un vieil économiste, parmi les animaux les plus terribles, pour effrayer les populations et leur montrer qu’elles n’avaient à espérer aucune pitié, si elles osaient se permettre la moindre résistance.

Malgré quelques adoucissemens passagers, l’administration des gabelles fut aussi oppressive, plus oppressive même sous les Bourbons que sous les Valois, car les dépenses de l’état étaient plus