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celle des Beauvoir, qui prit naissance à cette dernière époque. La maison des Beauvoir à son tour se subdivise en plusieurs branches, et c’est de la branche cadette que les comtes actuels de Chastellux sont descendus. Ainsi le noble généalogiste ne se reconnaît pas une origine immédiate plus lointaine que la seconde moitié du XVIe siècle; c’est réelle modestie de sa part, car avec les documens que nous avons sons les yeux on peut sans hésiter remonter bien au-delà de cet Artaud de Chastellux qui prit la croix à cette seconde croisade que nous avons vu prêcher par saint Bernard à Vézelay. Il est vrai que l’antiquité de la famille ne perd pas grand’chose à cet aveu, car, si elle ne descend que très indirectement des anciens Chastellux, elle descend en revanche en ligne ininterrompue des Montréal, dont la tige première se montre dès le Xe siècle. La bonne foi, la recherche scrupuleuse de la vérité, la modestie de ton, qui règnent dans ce travail généalogique, sont faites pour toucher. Quand l’auteur rencontre chez quelqu’un de ses ancêtres une erreur de conduite ou une faute politique, il l’expose franchement sans songer à l’atténuer ou à la dissimuler: amica nobilitus, sed magis amica veritas serait une bonne épigraphe à placer en tête de son livre. C’est ainsi qu’il condamne sans détours l’inertie du maréchal de Chastellux en face des bandes irrégulières connues sous le nom d’écorcheurs et les compositions répréhensibles qu’il fit plusieurs fois avec leurs chefs. Quelquefois même il nous révèle avec candeur des actes privés parfaitement inconnus, et qu’il n’eût tenu qu’à lui de laisser dans l’ombre où ils dormaient ensevelis. En voici un exemple assez curieux.

Longtemps le maréchal de Chastellux n’eut d’autre postérité qu’un enfant illégitime, anobli selon la coutume de la noblesse du temps par sa bâtardise même et s’en parant en guise de titre comme son contemporain Dunois et bien d’autres. Ce bâtard de Chastellux était un jeune homme d’une âme vaillante et violente, qui nous plaît singulièrement sur la simple silhouette qui nous en est présentée, quelqu’un d’assez semblable à ce bâtard de Richard Cœur-de-Lion qui figure dans le Roi Jean de Shakspeare. Un des parens des Chastellux, Jean d’Anglure, ayant commis la faute de se confier aveuglément à un certain Malaquin, son intendant, celui-ci, érigeant sa tyrannie sur cette faiblesse, se mit à trafiquer des terres de son maître avec tant de dextérité qu’en peu de temps ce dernier se vit à la veille de mourir de faim. Malaquin, appréhendé et emprisonné, ne voulut, paraît-il, accorder d’autre réparation que des insolences, sur quoi le bâtard de Chastellux et son camarade le bâtard de Savoisy l’envoyèrent dans la Cure exercer ses talens pour la natation. « Certainement, écrit M. de Chastellux à ce sujet, Malaquin avait mérité une sévère punition; mais il n’appartenait point