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rive que les hommes se révoltent précisément contre les choses sans lesquelles ils ne seraient rien! Ce fut le cas pour Vézelay, dont la commune devait être nécessairement et fut en effet le plus stérile de tous les mouvemens analogues qui éclatèrent au XIIe siècle.

Maintenant voulez-vous savoir comment finissent tous ces grands souvenirs, descendez la montagne étaliez passer quelques instants au petit village de Saint-Père. C’est là que fut l’emplacement primitif de l’abbaye. On y voit une charmante église dont la façade reproduit en miniature celle de La Madeleine de Vézelay. L’intérieur a été reconstruit tout récemment, et à l’heure qu’il est on travaille probablement encore à en réparer le porche et le narthex microscopiques, car cette église, qui n’est, à tout prendre, qu’une spacieuse chapelle, possède un narthex comme Vézelay, sans doute par imitation, ce qui prouve qu’en architecture aussi toute grenouille veut égaler le bœuf, et tout marquis avoir des pages. Comme dans celle de Vézelay, il n’est à peu près rien resté dans cette église des souvenirs et des décorations du passé. Voici pourtant une inscription qui est enchâssée dans la muraille d’une chapelle ; approchons-nous donc et lisons.

Pour bien dévotement supplier ce grand Dieu,
Où gît l’honneur de la gloire future,
Nous a donné ce lieu pour notre sépulture,
Marin Roux et les siens ont obtenu ce lieu. 1636.

Il ressort de cette inscription que dans le premier tiers du XVIIe siècle un parfait imbécile vivait en ces alentours. Il avait vu les églises pleines de monumens funèbres, il avait lu les inscriptions et les épitaphes gravées sur ces monumens, et, sa vanité s’enflammant à ce spectacle, il s’était promis que lui aussi aurait une épitaphe rimée qui transmettrait son nom à la postérité. Non-seulement il a réalisé son désir grotesque, mais il a daté son ineptie, ayant remarqué sans doute que la date ajoute un grand lustre aux souvenirs du passé. Ce millésime de 1636 surtout me paraît sublime. Ainsi voilà une sottise qui a maintenant deux siècles et demi d’existence, ce qui lui fait des quartiers de noblesse assez respectables. Elle est née en 1636, longtemps avant que les Phélippeaux fussent ducs, que les Colbert vinssent au monde, et que les Riquet fussent anoblis. On aurait voulu démontrer que la noblesse ne peut être constituée par la seule antiquité, et que l’antiquité séparée d’une sagesse toujours renouvelée équivaut à une superstition, qu’on n’aurait pu mieux s’y prendre que cet ingénieux Marin Roux. Cette inscription saugrenue mériterait vraiment d’être transformée en proverbe : antique comme l’épitaphe de Saint-Père sous Vézelay, pourrait-on dire toutes les fois qu’on