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changemens survenus dans le goût général, les reconstructions partielles opérées dans le cours des siècles, ont mis bien des fois en présence les deux ordres d’architecture; mais les antithèses que présentent d’ordinaire ces juxtapositions sont plus faites pour piquer l’intérêt de l’archéologue que pour satisfaire l’instinct d’harmonie de l’artiste : ici tout au contraire, c’est l’instinct de l’artiste qui est satisfait le premier par cette entente en quelque sorte cordiale entre les deux architectures, qui cependant conservent l’une et l’autre leurs caractères bien nettement distincts. Je ne connais pas d’autre exemple de ce phénomène, dont je laisse aux architectes le soin de déterminer la véritable cause, et je serais volontiers porté à le croire unique.

Ce n’est pas sans raison que j’ai employé plusieurs fois les mots de palais, d’avenue, de résidence seigneuriale; ces mots sont autorisés par l’impression qui résulte de la contemplation de ce bel édifice. La Madeleine de Vézelay, si j’ose m’en fier à l’empreinte qu’en a reçue mon imagination, c’est le type même du temple de l’église triomphante. Par le peu que nous avons dit de son église des catéchumènes, le lecteur a pu soupçonner à quel point cette disposition architecturale, tradition et souvenir des églises des premiers siècles, avait perdu le cachet de son origine. Tout l’édifice est à l’avenant. L’admiration seule y trouve pâture ; rien n’est resté pour l’attendrissement et la sympathie. Oh! que nous voilà loin des temps de l’église militante ! Religion hautaine, pieuse fierté, moral esprit de discipline et de contrainte, voilà ce qu’on sent en parcourant cette vaste nef et en suivant le tour de ce chœur élégant. Ici l’église règne autant qu’elle prie, et commande autant qu’elle bénit. Ce temple est un palais où des religieux, qui sont des maîtres, convoquent des fidèles, qui sont des sujets. L’esprit évoque sans efforts le spectacle qu’il présenta pendant de longs siècles, spectacle qui nous éloigne autant de la démocratie fraternelle des pasteurs de l’église primitive que de la démocratie des fonctionnaires sacrés des temps nouveaux. Là-bas, à l’entrée du temple, la cohue des pauvres et des infirmes encombre l’église des catéchumènes, la vaste nef est remplie par la foule chrétienne des vassaux, et tout en haut, autour de ce chœur exhaussé de trois marches et disposé comme un trône, siège, sénat souverain, le chapitre des moines présidé par l’abbé debout sur les gradins de l’autel. Voilà le spectacle qui seul convient à La Madeleine, et dont elle ne pourrait trouver les élémens à jamais disparus dans la foule des modernes chrétiens libres et dans des ecclésiastiques fonctionnaires salariés. Aussi, bien que remise à neuf, bien que servant toujours au culte public, est-on saisi dans cette église comme par le froid de la tombe. C’est un superbe monument funèbre, et ce monument est vide, car le mort même en a été retiré.