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Que nous voilà loin, avec Théodore de Bèze, du riche, large, compréhensif génie de la Bourgogne, aussi loin de Bossuet, dont il rejetait les croyances, que de Buffon, qu’il aurait condamné comme il condamna Michel Servet, et que nous voilà près au contraire de l’esprit du Nivernais, terroir révolutionnaire par excellence, qui a donné à la terreur son apôtre le plus démocratique dans Anaxagoras Chaumette et son théologien le plus implacable dans Saint-Just ! À mi-chemin de la longue rue escarpée par laquelle on grimpe plutôt qu’on ne monte à l’église de La Madeleine, on montre encore la petite maison où Bèze naquit et vécut. C’est une maison du moyen âge finissant, qui retient encore son ancien caractère, et qui mieux que de longues lectures nous explique ces restes du passé qui persistent chez tous ces novateurs du XVIe siècle et nous frappent comme des inconséquences et des contradictions.

L’église de La Madeleine, qui menaçait ruine il y a quelque trente ans, à ce point que Mérimée raconte que, pendant qu’il en prenait les dessins, il entendait une pluie incessante de petites pierres tomber autour de lui, est désormais à l’abri de tout danger. Elle a été presque entièrement reconstruite dans ces dernières années par les soins de M. Viollet-Le-Duc, qui par ses habiles restaurations a rendu tant de services à notre histoire nationale. Comme cette église a été fort habilement décrite plusieurs fois, et par M. Viollet-Le-Duc lui-même et par M. Mérimée, nous devons nous borner simplement à retracer les impressions qu’elle nous a laissées. Malgré la beauté des trois porches, surtout de celui du milieu, malgré la richesse des ornemens dont la façade est décorée, l’extérieur produit, il faut l’avouer, un effet assez médiocre, et laisse le spectateur quelque peu désappointé ; mais comme ce désappointement passe vite dès qu’on pénètre dans l’intérieur ! En entrant, on rencontre d’abord un vestibule assez vaste, surmonté des deux côtés par deux galeries qui se réunissent au centre en une sorte de tribune analogue à certains jubés. Ce vestibule, c’est ce qu’on appelle en langage d’architecte le narthex, et en langage populaire l’église des catéchumènes. Cette disposition intérieure, dont il ne reste aujourd’hui que de rares échantillons, semble avoir été commune en Bourgogne à toutes les églises abbatiales de dates rapprochées de celle de La Madeleine. La grande église de Cluny possédait une église des catéchumènes ; Saint-Philibert de Tournus en possède encore une, dont l’effet est positivement sublime. Il n’en est pas tout à fait ainsi à La Madeleine de Vézelay ; cependant son église des catéchumènes a du caractère, et ce caractère est bien d’accord avec celui du temple entier. À Saint-Philibert de Tournus, on retrouve tout vivant encore dans le narthex le sentiment qui dans l’église primitive donna naissance à cette disposition architecturale : c’est bien un purgatoire visible,