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bourreau de ses propres alliés, au moins de les abandonner à leur sort, et depuis oncques ne se releva la commune de Vézelay. Dans cette lutte, la commune de Vézelay fut vaincue, non faute d’habileté politique malgré la violence dont elle fit preuve, mais par la nature du caractère de l’abbé. Elle avait cru jouer un jeu sûr en se plaçant du côté du marteau contre l’enclume, — il vint un moment où le dur marteau rebondissant contre l’inerte enclume se rompit et frappa de ses éclats meurtriers ceux qui l’aidaient à se mouvoir.

Si Vézelay posséda jamais un genius loci, ce fut celui de la dispute, et l’esprit trop exclusivement politique des abbés n’était guère fait pour l’adoucir et le transformer. La révolte comprimée se changeait facilement en hérésie, les habitans se vengeaient sur la religion de leurs mécomptes politiques. Au pied de la montagne de Vézelay, on voit le petit village d’Asquin, où furent brûlés sept ou huit de ces sectaires qui furent connus au moyen âge sous le nom de patarins. Or, comme Hugues de Poitiers nous apprend que ces pauvres diables furent brûlés tout justement après la fin des démêlés de l’abbé Guillaume de Mello, successeur de Pons, avec le comte de Nevers, il est plus que probable que ces hérétiques ne furent autre chose que des débris et des épaves des anciennes factions, une queue de l’orageuse commune, qui de colère avait pris cette forme antireligieuse. Au XVIe siècle, la réforme y rencontra des adhérens sinon très nombreux, au moins très actifs et très ardens; on le vit bien aux facilités de défense qu’y trouvèrent les calvinistes lorsque, maîtres de la ville, ils durent soutenir le siège opiniâtre de l’armée catholique. Un nom d’ailleurs en dira plus long que toutes les considérations; un seul homme remarquable est né à Vézelay, et cet homme, c’est Théodore de Bèze, le lettré par excellence de la réforme, le controversiste du colloque de Poissy, c’est-à-dire le génie de la dispute fait homme. C’est lui qui fut surnommé le Mélanchthon de Calvin, pour signifier sans doute qu’il représentait la douceur à côté de la force : terrible douceur, s’il faut en juger par son image, et qu’il serait pardonnable de prendre pour la plus redoutable âpreté. La seule chose intéressante que contienne le très pauvre musée de Nevers est un portrait du célèbre réformateur : les muses et les grâces qu’il s’efforça de chanter dans sa jeunesse n’ont en vérité laissé aucune trace sur son visage hargneux au possible, marqué d’une empreinte de fermeté et de solidité remarquable; c’est un type suprême de logicien et de raisonneur, qui a rappelé à mon souvenir certain portrait d’un ministre de Hollande, chef-d’œuvre de Van der Helst, que l’on voit à Rotterdam. Tout à l’heure nous disions que le paysage d’Avallon et de Vézelay nous avertissait que nous n’étions plus en Bourgogne; combien ce visage et ce caractère nous en avertissent mieux encore!