Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui autrefois avait son existence distincte, et qui par le cours du temps s’est trouvée réunie à l’édifice principal ; cette bizarre disposition intérieure est le seul détail vraiment nouveau que Saint-Lazare nous ait présenté. A l’extrémité opposée de la ville s’élève une autre église, Saint-Martin, naguère encore simple écurie, aujourd’hui retirée de cet état de servitude et entièrement reconstruite. Tout ce qu’elle me rappelle, c’est qu’elle m’a permis de vérifier ce mot d’une dame de Châtillon-sur-Seine : « Châtillon est un bon pays pour la piété; mais dans ma ville natale, à Avallon, on n’est pas dévot du tout. » J’y ai entendu la messe des Rameaux au milieu d’une affluence considérable de fidèles, mais cette affluence se composait exclusivement du sexe aimable et croyant, et je m’y trouvai le cinquième représentant du sexe désagréable et raisonneur.

Si les pierres assemblées par l’art des hommes nous ont dit peu de choses, il n’en est pas de même du paysage, dont l’âpreté et la sauvagerie réveillent puissamment l’imagination assoupie par la monotone vulgarité de la campagne de l’Auxerrois, qu’il a fallu traverser. La promenade d’Avallon domine un ravin profond où le petit ruisseau du Cousin débouche avec une furie de torrent et roule des eaux limpides qui d’en haut paraissent noires. Une végétation morose, d’un brun foncé ou d’un vert sombre, tapisse de ses couleurs vigoureuses les deux versans de ce ravin, divisés en jardins et en enclos murés à pierres sèches, étages les uns au-dessus des autres comme des espèces de vergers suspendus. C’est à peu près le coup d’œil que présente la campagne de Poitiers vue du haut de la promenade de Blossac, avec cette différence, que la fraîche verdure des bords du Clain est remplacée ici par une nature d’une énergie farouche. Le caractère de ce paysage austère, presque menaçant, est tellement prononcé que l’abondance des vergers étages sur les flancs des deux montagnes ne parvient pas à l’adoucir, et que l’imagination en est presque à regretter ce témoignage de civilisation, qui fait comme tache sur la sauvagerie du lieu. L’âpreté de ce paysage suffirait seule pour nous indiquer qu’ici nous touchons aux extrêmes limites de la province que nous parcourons, et que nous sommes placés sur le point de séparation de deux pays. En effet, c’est encore la Bourgogne selon l’histoire et la géographie administrative, ce n’est plus la Bourgogne selon la nature. Ici commence, à proprement parler, le sauvage Morvan, dont Avallon forme la lisière, la région des tristes montagnes, de la fièvre, des eaux pures et froides chargées d’élémens calcaires qui paralysent et corrodent les dents. La rivière qui traverse ces campagnes est la jolie Cure aux flots d’une limpidité sans pareille, la rivière des flotteurs du Morvan. Quelques tours de roue, et vous êtes à Clamecy, dans cette partie du Nivernais qu’on peut appeler le Nivernais sombre par op-