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bien inclinés en forme du contre d’une charrue. La masse de glace qui s’avance entraînée par le courant s’élève alors sur l’avant-bec et se brise eu fragmens, comme une terre forte que la charrue entame par le dessous.

Nous arrivons enfin aux chemins de fer. De même qu’en bien d’autres contrées, le premier railway fut une ligne de plaisance, établie pour l’agrément des promeneurs de la capitale. Elle allait de Saint-Pétersbourg à la résidence impériale de Tsarrskoe-Selo, et n’avait que 25 kilomètres de long. Le gouvernement entreprit ensuite de relier Moscou à Saint-Pétersbourg. Ce grand travail, commencé en 1842, ne fut terminé qu’en 1861. Il est vrai que la distance officielle entre ces deux villes est de 604 verstes ou 640 kilomètres. Nous disons la distance officielle, car on se raconte que la distance réelle n’est que de 586 verstes, et que cette exagération de la longueur véritable est une des nombreuses fraudes dont l’administration russe est coutumière. Au reste, l’exploitation de ce chemin de fer n’a pas les allures de vitesse précipitée auxquelles nous sommes habitués dans l’Europe occidentale. Il n’y avait dans le principe que deux trains de voyageurs par jour en chaque sens : l’un, le train-poste, restait vingt heures en route; l’autre, train omnibus, employait trente heures à faire le trajet. Il y a de longs arrêts aux stations, pour déjeuner, pour dîner, pour souper, pour le thé du matin et pour le thé du soir; le temps n’a pas encore grande valeur en ce pays. Les wagons ont d’énormes dimensions, sans compartimens intérieurs, comme les wagons américains. C’est peut-être une nécessité du climat, qui exige que les voitures soient chauffées en hiver par des poêles.

Après avoir achevé cette première ligne, dont l’importance est surtout commerciale, le gouvernement commença celle de Saint-Pétersbourg à Varsovie, qui était plutôt stratégique, quoique ce dût être aussi le lien entre la Russie et l’Occident. La guerre de Crimée fut d’abord un obstacle; peu de temps après la conclusion de la paix, le gouvernement, reconnaissant son impuissance, résolut de faire appel à l’industrie et aux capitaux étrangers. Un ukase du 26 janvier (7 février) 1857 concéda diverses lignes à une compagnie, la grande société des chemins de fer russes, qui prit à son service plusieurs ingénieurs français. Le réseau concédé comprenait les sections de Saint-Pétersbourg à Varsovie avec embranchement à Vilna vers la frontière de Prusse, de Moscou à Nijni-Novgorod, de Moscou à Théodosie en Crimée par Koursk et la région du bas-Dnieper, et enfin une ligne transversale de Koursk à Liban sur la Baltique. C’était une longueur d’environ 4,000 verstes que la compagnie concessionnaire s’engageait à construire en dix ans sous