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Sous Nicolas, la Russie était plutôt un empire asiatique qu’un royaume européen. Les idées d’affranchissement étaient proscrites; tout esprit réformateur était suspect. Le tsar, qui se croyait infaillible et tout-puissant, fut cruellement détrompé par la guerre de Crimée. Lorsque Alexandre II monta sur le trône avec la conviction que de grandes réformes étaient devenues nécessaires, sa première préoccupation fut d’affranchir les serfs ; mais leur devait-on donner la liberté seule ou la liberté avec la terre? Telle était la question que le nouvel empereur résolut dans le sens le plus favorable aux paysans. Affranchir les hommes sans leur assurer de quoi vivre, c’était courir le risque d’une jacquerie. L’empereur en eut le pressentiment, et transforma les serfs en propriétaires malgré l’avis de ses conseillers, dit-on. Les nobles seuls en souffrirent, car ils perdaient la plus forte partie de leurs revenus. Fait singulier, l’affranchissement n’a pas beaucoup modifié l’existence des paysans russes. Comme autrefois, ils habitent des villages qui sont de petites républiques avec leurs chefs élus par le suffrage universel. La terre est mise en commun; tous les trois ans, on la divise par parties égales entre les hommes mariés de la commune. Les anciens rendent la justice, condamnent les délinquans au fouet et à la prison. Un citoyen ne peut s’absenter sans permission, — autrement on le met à l’amende. Celui au contraire qui encourt la haine de ses voisins est expulsé sans autre forme de procès; cette expulsion a des conséquences terribles, car le malheureux qui en est l’objet, incapable de trouver asile dans une autre commune, n’a d’autre ressource que d’être soldat pour la vie ou de s’engager à perpétuité dans les mines de la Sibérie.

Tel est l’état social des campagnes dans la Grande-Russie, entre Kazan, Smolensk et Arkhangel, c’est-à-dire dans les provinces qui sont le patrimoine véritable du peuple russe. A l’ouest, ce sont des Polonais, à l’est des Tartares. De Kazan à la Caspienne, le Volga est la limite entre chrétiens et mahométans. Le Volga franchi, le voyageur est au milieu de steppes habitées par des peuplades presque sauvages qui regardent moins vers Saint-Pétersbourg que vers Bokhara. Ces vastes espaces, qui tiennent beaucoup de place sur la carte, n’ajoutent à peu près rien à la force de la Russie.


II.

Ce qui vient d’être dit explique combien les voies de communication seraient utiles et quelles difficultés s’opposent à ce qu’on les établisse aussi vite qu’il conviendrait. Il y a encore cet autre dés-