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janvier, la Neva n’est plus à Saint-Pétersbourg qu’un plancher bien solide, encaissé entre deux rives : des rues éclairées au gaz, des maisons de bois provisoires, des campemens de Samoièdes se montrent sur l’emplacement où l’on ne voit l’été qu’une belle eau bleue sillonnée par des embarcations. Le golfe de Bothnie lui-même se cristallise à une grande distance du rivage; on se rend à pied sec de Saint-Pétersbourg à Cronstadt.

Tant que persiste cette température rigoureuse, la vie est en quelque sorte suspendue; les plantes ne végètent plus, les sources tarissent, les matières mortes cessent de se décomposer. Lorsque le printemps ramène un peu de soleil et de chaleur, la nature semble se réveiller subitement : une crise violente s’opère tout à coup en quelques heures; elle se manifeste surtout par la débâcle des fleuves et des rivières. Alors surviennent des crues extraordinaires qui transforment en lacs les larges vallées de cette contrée presque plate. La débâcle est un phénomène annuel qui mérite de fixer l’attention. Après quatre ou cinq mois de gelée incessante, la couche solide atteint dans les rivières une épaisseur de 80 centimètres et plus, car elle s’accroît de jour en jour, en dessous par l’eau qui se congèle et en dessus par la neige qui s’y dépose. Les pluies qui succèdent à la neige dès que le thermomètre remonte au-dessus de zéro modifient ce banc de glace ; l’eau le pénètre par les moindres fissures, s’y gèle à son tour et divise la masse en milliers de gros fragmens. L’eau liquide reprend son écoulement dans le fond du lit, et entraîne la couche supérieure. Les blocs se mettent eu mouvement. Aux coudes et aux étranglemens des rivières, les fragmens s’accumulent en monceaux et se précipitent avec une nouvelle force, balayant devant eux tout ce qui s’oppose à leur passage. En même temps la végétation reprend partout avec une vigueur singulière, que favorise une brusque élévation de température. La nature répare en quelques semaines le retard que lui a imposé ce long sommeil.

Passer sans transition suffisante du froid au chaud est ce que l’on appelle un climat extrême. L’agriculture s’en accommode assez mal. Cependant les provinces centrales de l’empire doivent être classées parmi les régions les plus fertiles du globe. Ainsi l’Ukraine et la Petite-Russie sont formées d’une terre noire, analogue à la Limagne d’Auvergne, qui contient tous les principes nécessaires à la culture des céréales. C’est une surface égale à la moitié de la France, d’un sol modèle dont on ne rencontre dans l’Europe occidentale que quelques rares échantillons. Les steppes, qui occupent tout le midi de la Russie depuis la Bessarabie jusqu’à l’embouchure du fleuve Oural, sont des plaines perméables d’une horizontalité parfaite, ce qui fait qu’il n’y existe point de sources. Il n’y a non