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que de dresser le bilan de ses ressources industrielles. De notre temps, la richesse d’un peuple se mesure par l’étendue de ses chemins de fer. Sachant comment ils s’établissent et quel usage on en fait, on est apte à mesurer l’effort dont un peuple est capable. C’est une étude que nous voudrions faire ici pour la Russie, en prenant pour guide l’ouvrage d’un ingénieur français qui a consacré quelques années de sa jeunesse aux chemins de fer russes[1]. C’est aussi d’après lui, sauf à puiser parfois à d’autres sources, que nous essaierons de tracer le tableau physique et social de ce colossal empire, préliminaire indispensable sans lequel on ne saurait comprendre les difficultés qui s’opposent à une plus rapide extension des travaux publics.


I.

Le voyageur qui a traversé l’Europe occidentale se trouve tout à coup, quand il entre en Russie, au milieu de plateaux immenses tantôt légèrement ondulés, tantôt parfaitement de niveau, mais tout à fait dépourvus de montagnes. Des Karpathes à l’Oural, de la Mer-Noire à l’Océan-Arctique, — il y a dans chaque sens plus de 2,000 kilomètres, — l’on ne rencontre que des plaines et des marécages. La chaîne de l’Oural, qui termine le plateau vers l’orient, atteint tout au plus l’altitude de la chaîne des Vosges. Le Caucase, beaucoup plus élevé, est en dehors de la Russie proprement dite. Les eaux qui tombent sur cette vaste surface s’écoulent vers quatre directions différentes, la Mer-Glaciale, la Baltique, la Mer-Noire et la Caspienne; à l’encontre de ce qui se voit dans le reste de l’Europe, ces bassins ne sont séparés que par de faibles excroissances de terrain. Des quatre versans, le plus large est celui de la Caspienne, circonstance encore fâcheuse, puisque cette méditerranée ne communique pas avec les autres mers du globe. Si l’on remarque en outre que l’océan glacial est obstrué pendant huit mois d’hiver, que la Mer-Noire et la Baltique sont fermées par d’étroites embouchures appartenant à d’autres puissances, et que la frontière de l’ouest est ceinte de montagnes ou défendue par des nations rivales, on se rendra compte de ce premier caractère de l’empire russe d’être clos en quelque sorte par des barrières naturelles qui l’empêchent d’étendre au dehors ses relations et son influence. Par là s’explique la politique traditionnelle de la chancellerie russe, qui est de gagner du terrain sur la Baltique et sur la Mer-Noire. Dans le principe, le véritable centre de ce peuple était Moscou, au cœur du bassin du Volga. Pierre le Grand eut la prétention de trans-

  1. Les Chemins de fer russes de 1857 à 1862, par M. Éd. Collignon, ingénieur des ponts et chaussées.