Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/98

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la dignité de ceux qui recevaient des secours. Ce qu’on a fait, c’était une sorte de communisme où l’état devenait la providence universelle. On a mis tout en commun, on a prodigué les ressources, on a donné à tout le monde, « aux enfans, aux femmes, aux concubines. » On a désintéressé l’ouvrier du travail en lui fournissant le moyen de déserter l’atelier ; en un mot, on a donné la possibilité de vivre sans rien faire. « Il en est résulté, selon M. Mettetal, que jamais cette classe infime qui existe au-dessous de l’ouvrier régulier n’a été aussi à l’aise qu’à ce moment. Pendant que toute la population souffrait, cette portion de la société était dans une aisance relativement plus grande que dans les temps ordinaires… » C’est enfin M. Jules Favre qui vient dire avec une éloquence attristée le dernier mot de cette situation désastreuse. « La classe ouvrière a en fait pris l’habitude d’être nourrie par l’autre, de vivre dans une fainéantise d’autant plus dangereuse qu’elle permettait de vivre sans rien faire, et qu’elle donnait cette satisfaction puérile et malsaine des exercices militaires… Pendant ces cinq mois, la classe laborieuse a été comme les populations antiques à la solde des classes aisées ; elle a vécu dans l’oisiveté, dans l’enivrement de ces exercices militaires, et a contracté les plus déplorables habitudes… » Rien de plus vrai, le mal est décrit supérieurement. On l’avait vu naître et grandir ; mais qu’a-t-on fait pour le prévenir ou le pallier ? On n’y a point évidemment songé ; on a fait autant qu’on l’a pu et surtout on a laissé faire un ordre apparent avec un grand désordre moral et économique ; on a épuisé pour vivre les forces régulières de la vie, jusqu’au jour où cette population corrompue « par l’oisiveté, par l’idée qu’elle devait être nourrie, » — dégoûtée et désaccoutumée du travail, formée à l’indiscipline et aux aventures,. est devenue naturellement « la proie des agitateurs qui étaient dans l’ombre. »

La faute est en partie aux malheurs du temps, je le veux bien ; elle est aussi celle de l’inexpérience des hommes qui arrivaient au pouvoir dans les circonstances les plus périlleuses sans être préparés à une telle épreuve. La faute est encore à la politique décousue et vacillante de ce gouvernement de la défense nationale, qui ne s’est peut-être montré si faible dans le maniement de tous les ressorts de la puissance publique que parce que, lui, gouvernement né de l’insurrection, il avait à compter avec toutes les factions prêtes à le dévorer. C’est là en effet ce qu’on pourrait appeler le point central du siège de Paris. Que les factions qui avaient aidé au 4 septembre, qui se voyaient en même temps victorieuses et évincées du pouvoir par l’avènement de l’opposition régulière du corps législatif, que ces factions aient puisé aussitôt des espérances et une force nouvelle dans les événemens, qu’elles n’aient point cessé de