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ne saurait être, comme on le pourrait croire, une affaire de pure réimpression. Autre est la tâche aujourd’hui pour un savant véritable, autres sont les habitudes de cette école studieuse et vraiment nationale où M. Léon Gautier a l’honneur d’occuper une chaire. Confronter les divers manuscrits non pas sur les copies de seconde main, mais de visu, sur les originaux, comparer et relever toutes les variantes, combler les lacunes, éclaircir les obscurités, établir les origines, voilà le devoir d’un éditeur sérieux. M. Léon Gautier ne s’est pas contenté de le remplir, il a voulu faire, il a fait plus encore. Suivant l’exemple de l’auteur de l’édition de Joinville, M. Natalis de Wailly, il a, nous dit-il lui-même, « prétendu publier un texte critique, » restituer le texte de Roland tel qu’il aurait été écrit par un scribe intelligent et soigneux, dans le même temps et dans le même dialecte. C’est ainsi qu’étudiant pour ainsi dire mot par mot les divers manuscrits de notre vieux poème, il a déterminé ce qu’il appelle « les règles positives de la grammaire de Roland. » Le résultat de ce travail énorme, c’est un glossaire complet de tous les mots du poème ; ce sont des notes philologiques, qui forment une sorte de grammaire de la langue de notre vieille chanson, — des notes historiques, où passent l’un après l’autre, avec leur histoire poétique et légendaire, tous les héros qui entourent Roland, — des notes archéologiques, des notes juridiques, géographiques, en un mot toute une série de petits traités spéciaux, destinés à éclairer d’un jour plus vif les diverses faces de notre épopée nationale.

C’est là la partie purement scientifique de l’œuvre de M. Gautier ; il ne nous est pas permis ici de l’étudier en détail et comme elle le mérite ; mais ce que nous pouvons signaler à l’empressement de quiconque a l’âme ouverte aux nobles émotions et l’esprit curieux de ce qui touche à notre histoire, c’est la traduction, c’est surtout l’introduction historique que nous offre M. Léon Gautier. Nous ne parlons pas du poème lui-même : les beautés en ont été dès longtemps révélées aux lecteurs de la Revue dans des pages où semblait revivre l’âme de la vieille chanson[1]. Si, pour sa traduction, ayant à choisir entre les trois systèmes qu’avaient adoptés ses devanciers, la prose pure et simple, les vers rimes ou les vers blancs, M. Léon Gautier a préféré une quatrième méthode, la traduction en prose, mais vers par vers, il nous en donne lui-même la raison : c’est qu’avant tout il a tenu à reproduire la couleur originale de notre vieux poème. Et, de fait, s’il est des cas où le rhythme cadencé du vers, comme dans la vigoureuse et savante traduction de M. d’Avril, séduit et entraîne plus vivement l’oreille et l’imagination du lecteur, il en est d’autres où l’on ne saurait méconnaître que le système de M. Léon Gautier n’atteigne à une exactitude, à une fidélité plus parfaites.

Que pouvons-nous mieux faire, au surplus, que de renvoyer le

  1. Voyez dans la Revue du 1er juin 1852 la Chanson de Roland, par M. L. Vitet.