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dé, au profit du radicalisme ou du césarisme. Qu’on nous permette seulement de le dire, ces impressions soudaines, ces vivacités de discussion, ces mouvemens d’impatience, ne peuvent pas être plus forts que toute une situation. La situation, elle est aujourd’hui ce qu’elle était hier ; elle est ainsi faite que ni l’assemblée ne peut avoir l’idée de retirer le pouvoir à M. Thiers, ni M. Thiers ne peut songer sérieusement à quitter les affaires. Dès lors il est bien clair qu’il vaudrait mille fois mieux éviter jusqu’à ces apparences de conflits, qui ne peuvent conduire à rien, et le meilleur moyen, pour M. le président de la république, ce serait assurément de ne pas aller à la bataille, de rester dans la sphère de son autorité supérieure et incontestée. M. le président de la république a eu tort sans doute de recourir à cet argument extrême d’une menace d’abdication, et il a eu, si l’on veut, d’autant plus tort que c’était inutile. La commission, maintenant avec fermeté ses propositions, suffisait pour faire prévaloir le service de cinq ans. Autour de la commission se pressaient des généraux distingués, le général Changarnier, le général Chanzy, le général Ducrot, soutenant la même cause. Le vote était à peu près assuré, la bataille pouvait être gagnée sans que la vieille garde eût besoin de donner. Rien n’est plus vrai, il n’était pas nécessaire de faire sentir au dernier moment ce cruel aiguillon ; mais enfin ce n’est pas une raison pour se laisser emporter à son tour, pour parler aussitôt de violences, de dictature, de menaces de coup d’état suspendues sur l’assemblée.

Étrange dictateur que celui qui s’en va au plus fort des mêlées parlementaires, qui s’épuise à convaincre ceux qui l’écoutent, qui n’a d’autres armes que la persuasion, l’éloquence, l’esprit, le savoir, pour faire triompher ses opinions ! Imagine-t-on M. Thiers forgeant des coups d’état ? Il faut bien comprendre aussi cette situation d’un homme qui porte le fardeau des affaires dans les circonstances les plus douloureuses, qui, malgré tout ce qu’on peut dire, a une responsabilité supérieure à toutes les autres responsabilités, qui sait souvent ce que nous ne savons pas, qui est quelquefois convaincu, sans avoir toujours tort, que les mesures qu’on lui donne à exécuter ne sont pas les meilleures dans l’intérêt du pays. Il a des impatiences, des susceptibilités impétueuses ; il lui arrive de résister avec d’autant plus d’opiniâtreté qu’il n’a que sa raison pour vaincre, qu’il se sait désarmé devant une chambre souveraine. Préfèrerait-on qu’il laissât tout passer, qu’il livrât les affaires du pays à la merci des mobilités de discussion et des initiatives individuelles ? C’est un spectacle nouveau et singulier, nous en convenons ; il n’est point après tout plus extraordinaire que la situation de la France. Chose étrange ! quand M. Thiers intervient personnellement, en accentuant son opinion, en faisant sentir son autorité, on l’accuse de faire violence à l’assemblée ; quand il s’abstient, il se trouve assez souvent que la confusion envahit