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sement disposée à seconder ceux qui mettront la main à l’œuvre pour elle. C’est ici seulement que commence la difficulté.

Reconstituer, réorganiser le pays, c’est la pensée universelle, c’est le programme de tout le monde ; mais ce programme, comment arrivera-t-on enfin à le réaliser, à le rendre palpable et pratique ? Ah ! ici les problèmes se pressent, aussi redoutables que délicats. On sent qu’on va toucher aux ressorts essentiels de la puissance nationale. Les questions militaires s’enchevêtrent avec les questions politiques, les questions économiques ou financières se confondent avec les questions administratives. Chemin faisant, les unes et les autres se compliquent souvent encore des incidens qui viennent tout obscurcir, des antagonismes de partis, des vivacités impétueuses de discussion, des conflits de pouvoirs, de tout ce qui jette de l’imprévu dans la vie publique. N’est-ce point là justement ce qui se passe en ce moment même au sujet de cette loi sur le recrutement de l’armée qui depuis deux ou trois semaines occupe l’assemblée et le gouvernement, captive toutes les attentions ? N’est-ce point la véridique histoire des vicissitudes de cette réforme à la fois militaire et sociale, qui semble si simple dans son principe et qui est si complexe dans ses applications, sur laquelle on croyait s’être mis d’accord de façon à marcher rapidement au but, et qui a failli devenir l’occasion d’une crise des plus graves lorsqu’on s’y attendait le moins, lorsque la nécessité d’une crise nouvelle se faisait si peu sentir ?

Depuis quinze jours en effet, la politique est là tout entière. L’unique et souverain intérêt est dans cette loi militaire, qui éclipse tout le reste, qui a eu déjà ses péripéties, qui, sous une forme spéciale, résume les difficultés et les grandeurs de cette œuvre de réorganisation nationale que la France rencontre à chaque pas devant elle. À dire vrai, cette question, la première de toutes désormais, la plus grave qu’on puisse discuter, cette question n’est point née d’hier, et, si elle pèse aujourd’hui sur nous de tout le poids de foudroyantes catastrophes, c’est qu’on n’a pas su ou l’on n’a pas cru pouvoir la résoudre quand il l’aurait fallu, avant les catastrophes. Nous nous souvenons encore du temps où, par une vive intuition de patriotisme, et comme enflammé par un pressentiment ému, notre malheureux ami E. Forcade, le premier entre tous, dégageait et précisait cette question au lendemain de la guerre de 1866 [1]. Il montrait ce prodigieux déplacement de puissance qui venait de s’accomplir en quelques jours par la main et au profit de la Prusse, qui mettait désormais la France en face de la plus redoutable concentration de force militaire, et il ajoutait avec cette clairvoyance politique à laquelle les faits n’ont que trop donné raison : « Le problème à résoudre est aussi nettement posé que pressant. Avouons la nécessité qui nous domine, quelque

  1. Chronique du 31 août 1866.