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n’ayant pas encore assez d’argent pour s’acquitter envers les déposans, on proposa de leur offrir la meilleure valeur dont le trésor pouvait disposer, des rentes, mais cette fois des rentes au cours. Le cours de la rente se trouvait bien au-dessous du pair, et c’eût été pour l’état un sacrifice ; par cela même c’eût été aussi un grand acte de loyauté qui devait profiter au crédit des caisses d’épargne et au crédit général de l’état. Malheureusement dans cette affaire il semblait écrit que tout irait gauchement. Un décret du 7 juillet 1848 régla sur le cours de 80 francs la rente à délivrer aux déposans. Or ce cours, tout à fait accidentel à ce moment, était trop élevé comme base d’une opération étendue ; le cours réel de la rente ne fit que décroître en effet jusqu’au mois de novembre, où il tombait à 64 fr. De plus, et pour achever la maladresse, on rendit générale et obligatoire pour tous les déposans cette conversion en rentes, si préjudiciable, ce qui amena la liquidation à peu près complète, et à perte, de nos caisses d’épargne, c’est-à-dire l’anéantissement en France de cette grande institution populaire, qui est devenue l’un des organes essentiels de toute nation civilisée.

L’assemblée nationale s’empressa de réparer autant que possible l’injustice et le malheur de ces mesures ; une loi du 21 novembre 1848, appuyée par M. Berryer, accordait à chaque déposant dont le compte avait été converti en rentes au cours de 80 fr. un livret spécial, dit de compensation, portant une somme de 8 fr. 40, égale à la différence entre le cours de 80 fr. et celui de 71 fr. 60, cours moyen des trois mois qui avaient précédé le malencontreux décret du 7 juillet. Cette loi faisait revivre l’institution des caisses d’épargne en rétablissant les livrets liquidés ; mais l’institution a gardé longtemps la blessure des décrets de 1848, dont nous pouvons mesurer par quelques chiffres les déplorables effets.

Le stock des caisses d’épargne de France, qui, depuis la fondation en 1818 et surtout depuis la loi organique de 1835, s’était rapidement élevé jusqu’à 455 millions de francs en 1845, se trouvait un peu réduit en 1848 par l’effet de la loi restrictive de 1845 et par suite de deux années de disette ; il était pourtant au chiffre considérable de 355 millions de francs au moment de la révolution de février. Par les décrets de 1848, il se trouva presque réduit à rien, et tout ce que put faire la loi réparatrice du 21 novembre, ce fut de reconstituer un solde de 74 millions. Pour la caisse d’épargne de Paris, considérée à part dans ce total, le solde dû aux déposans le 31 décembre 1847 était de 80 millions ; il se réduisit par la liquidation à perte à 2,649,741 fr., et ne se releva par les livrets de compensation qu’à 10,155,440 fr. Cependant la confiance populaire, ranimée par l’acte loyal de l’assemblée nationale, rétablit peu à peu le mouvement progressif des dépôts, et malgré la loi de 1851, qui abaissa jusqu’à 1,000 fr. le maximum des livrets, l’épargne de nouveau afflua aux caisses jusqu’à dépasser en 1854 le stock de 1845,