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politiques se sont montrés inquiets de la responsabilité du trésor au sujet des dépôts, que l’état centralise et fait valoir, et qu’il s’engage à rembourser à vue. De là des restrictions systématiques dans la loi des caisses d’épargne qui ont réduit l’action bienfaisante de l’institution en France.

N’y aurait-il pas moyen de sauvegarder la responsabilité de l’état, pour le mettre à même de rendre aujourd’hui les facilités anciennes offertes aux déposans, les facilités que la loi anglaise procure de plus en plus par ses perfectionnemens successifs aux ouvriers économes de l’Angleterre ? Telle est la question que nous avons été amené à étudier. Nous avons formulé ainsi, pour modifier et améliorer la loi organique des caisses d’épargne, un projet de dispositions additionnelles ou correctives qui a été bien accueilli parmi les hommes les plus anciennement dévoués à cette institution et les plus autorisés en matière d’économie financière, et cette réforme pourrait bien être portée prochainement à l’examen de l’assemblée nationale, si les questions politiques laissent le temps de penser un peu aux affaires.

Interrogeons l’expérience des Anglais, qui dans les caisses d’épargne ont été nos devanciers et peuvent encore nous servir de guides, sous la réserve de la différence des mœurs des deux nations. Avant 1861, toutes les caisses d’épargne anglaises étaient des établissemens privés : sauf quelques formalités faciles, la première association venue pouvait ouvrir une caisse de dépôts pour les épargnes du peuple. Cette excessive liberté amena des abus, et de tels abus que le parlement crut devoir ordonner une enquête. L’enquête parlementaire, publiée en un énorme volume de plus de mille pages, révéla une foule de faits regrettables, qui nous rappellent les scandales de certains établissemens financiers français fondés, il y a quelques années, pour mettre en œuvre aussi les épargnes du peuple, et la crise plus récente de quelques banques de dépôts dans les mois de juillet et août 1870. Le rapporteur de l’enquête anglaise conclut à la nécessité d’aviser par une réforme, et recommande de combattre les excès de la liberté par la centralisation.

Quand on étudie les lois faites en Angleterre et en France depuis une trentaine d’années, on est frappé d’une double tendance : en Angleterre, le parlement veut centraliser, corriger les excès de la diversion des forces économiques par la centralisation ; en France, nos hommes d’état au contraire cherchent à corriger les excès de la centralisation par une plus grande latitude accordée aux autorités locales et aux associations libres, Ainsi les deux nations, rectifiant leur marche, tendent à se rapprocher dans une voie moyenne, qui sera peut-être un jour leur voie commune, la bonne voie des grands peuples civilisés. Seulement, dans cette transformation, l’Angleterre et la France n’opèrent pas avec la même sagesse. En France, nous faisons trop souvent table rase : nous arrachons volontiers les arbres jusqu’aux racines pour en planter ensuite d’autres sur ce