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d’économiser chaque semaine sur sa paie et d’ajouter à son livret une pièce de 1 fr. se serait créé pour lui-même un capital de 3,000 fr. qu’il pourrait toucher à l’âge de cinquante-trois ans. Ce n’est pas tout : en maintenant sa résolution d’économiser 1 franc par semaine, cet homme s’est sauvé de bien des tentations de dépenses futiles ou malsaines. C’est pourquoi les Anglais ont deux fois raison d’appeler les caisses d’épargne savings-banks, banques de salut. Aussi les hommes d’état anglais, qui sont en même temps et les plus habiles financiers du monde et les plus sages meneurs de peuples, s’appliquent-ils à multiplier dans toutes les parties de la société britannique les caisses d’épargne comme les meilleurs instrumens de l’ordre, comme les auxiliaires les plus actifs de la prévoyance, qu’ils considèrent comme la première vertu de la civilisation.

Ces savings-banks ont un rôle et une action bien plus considérables que nos caisses d’épargne : l’ensemble de leurs dépôts, atteint aujourd’hui 1 milliard 400 millions de francs, alors que nos caisses d’épargne en 1870 n’avaient pas dépassé 720 millions. Les ouvriers anglais, au point de vue de l’économie, valent-ils donc mieux que les ouvriers français ? On peut dire d’abord qu’ils sont mieux servis par une organisation plus large et plus complète de leurs caisses d’épargne. Hâtons-nous de faire observer que la différence des stocks des caisses d’épargne d’Angleterre et de France ne tient que fort peu à la différence des lois politiques des deux pays. Sans doute l’ouvrier anglais ne peut guère placer ses économies en biens-fonds, tandis que nos paysans, et même certains ouvriers de nos villes, ainsi surtout les Limousins, les Auvergnats, les Savoisiens, ont le droit de satisfaire, et ils le font parfois jusqu’à l’excès, leur passion de la terre ; mais les Anglais ont pour leurs placemens de capital et même de petite épargne deux institutions puissantes que nous n’avons encore imitées en France que très faiblement : les friendly societies et les assurances humaines, les assurances humaines surtout, qui chez nos voisins sont entrées dans les mœurs de toutes les classes de la société, à ce point qu’un voyageur humoriste définissait le peuple anglais, — un peuple qui s’assure. Le capital énorme centralisé par ces deux institutions et utilisé dans le vaste commerce britannique équivaut bien pour les ouvriers anglais au capital que nos paysans placent en fonds de terre.

Les savings-banks n’ont jamais fait que progresser depuis l’origine de l’institution. En France, les caisses d’épargne ont éprouvé en 1848, par suite d’une mesure malheureuse du gouvernement, une liquidation à peu près complète : elles ont donc recommencé comme à nouveau à partir de cette époque, et il est même étonnant qu’ensuite les épargnes ouvrières accumulées en quelques années aient atteint si rapidement le chiffre de 720 millions. Ce chiffre est d’autant plus remarquable que depuis 1848, depuis la déplorable liquidation des caisses d’épargne, disons le mot, depuis la banqueroute de 1848, plusieurs de nos hommes