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Bien des choses se mêlaient dans cet état moral : il y avait la souffrance de la fierté nationale blessée, l’idée insupportable de la patrie envahie, la révolte de l’orgueil parisien, le mépris persistant et peu réfléchi de l’envahisseur, un reste de cette infatuation française qui avait cru prendre le chemin de Berlin au commencement de la guerre, et qui maintenant se consolait en défiant les Prussiens d’entrer à Paris. On ne croyait pas, on ne voulait pas croire à une chute irrémédiable, à un écroulement si subit. On croyait tout au plus à une défaillance passagère de la fortune, et les meilleurs se laissaient aller à cette invincible et généreuse confiance. J’ai encore devant les yeux, l’image de ce vieillard patriote et énergique, M. Piscatory, qui depuis, malgré ses soixante-dix ans, est allé chercher la mort dans les froides nuits du rempart, et qui dans une salle du corps législatif, le 2 septembre, au moment où l’on annonçait un succès, — un faux succès ! — se redressait dans un naïf élan d’orgueil en s’écriant : « Est-ce que vous avez pu croire que la France était définitivement battue, qu’elle n’allait pas prendre une éclatante revanche ? » Pour ceux qui se figurent toujours qu’une révolution est le remède universel, pour ceux-là surtout, dès que l’empire n’existait plus et qu’on avait la république, on allait infailliblement tout relever, tout réparer, en commençant par la délivrance de Paris. On ne céderait « ni un pouce du territoire, ni une pierre de nos forteresses, » parole bien hasardée d’une diplomatie passablement imprudente, et qui ne répondait pas moins à l’état des esprits.

Puisque le gouvernement s’était engagé dans le siège, il était bien obligé de compter avec ces dispositions, de ne rien négliger pour entretenir ce moral qui était une force pour lui, et il ne ménageait à la population parisienne ni les flatteries ni les déclarations enflammées, ni les promesses de résistance à outrance. C’était sa manière de gouverner, de se maintenir à travers toutes les péripéties qui se succédaient. Quand le péril pressait, on faisait une proclamation. Lorsqu’on éprouvait quelque mécompte à Paris, on se mettait à sonder l’horizon du regard, à calculer le temps qu’il fallait aux armées de province pour se former, pour arriver. On palliait le mal, on grossissait le moindre avantage, et on parvenait même à triompher des incidens malheureux. Avouons-le, on s’abusait, et on abusait Paris faute d’oser l’éclairer ; on le suivait dans ses entraînemens au lieu de le ramener à la sévérité des choses. Une fois sur cette pente, où s’arrêter ? On est bientôt arrivé à une véritable hystérie d’imagination, à ce degré prodigieux d’exaltation où l’on semblait avoir perdu la notion de toute réalité, où l’on redoublait de passion désespérée à mesure que les chances de succès diminuaient, et où, comme le rapporte M. Jules Favre, des