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a pu voir ses amis s’en servir, et c’est avec indulgence qu’il les gourmande les uns et les autres des hardiesses électorales que leur fait commettre leur dévoûment à leur cause.

Son cadre est l’élection au congrès d’un sénateur par l’état de la Louisiane ; son intrigue, il l’emprunte à la scène française. Ses deux principaux personnages, Randolph et Beckendorf, sont copiés sur Bertrand et Raton, cet impérissable Raton qui tire éternellement du feu les marrons que dévore le non moins impérissable Bertrand ; il n’y a jamais de différence que dans la forme des pincettes. Comme dans l’Art de conspirer de M. Scribe, des courtisans du souverain font le siège du pouvoir, de ce pouvoir partout et en tout temps le même, le distributeur de la fortune publique. Seulement le souverain, qui dans la pièce française est Christian VII de Danemark, se trouve être le peuple dans la pièce américaine, et c’est là surtout ce qui donne de l’intérêt à ce pastiche, qu’il faut parcourir comme une sorte d’enquête électorale dialoguée.

Les deux pièces principales de cette enquête sont une séance dans les bureaux de la chambre des représentans de l’état de la Louisiane, et une leçon de stratégie électorale donnée par de vieux politiciens à un politicien novice. Sur ce terrain, plus particulièrement le sien, l’auteur américain se montre hardi, neuf, original. Analyser ses discours, c’eût été diminuer leur valeur ; le lecteur français se serait d’ailleurs refusé à relire, traduit de l’anglais, Bertrand et Raton, qu’il a vu jouer tant de fois sur notre scène. Nous avons donc pensé que le mieux serait de détacher des cinq longs actes de l’École de la politique les scènes où il est question d’agissemens électoraux, et de négliger celles qui ont simplement rapport à l’action. C’est dans la ville de Bâton-Rouge, la capitale politique de la Louisiane, où se font réellement les élections fédérales de l’état, que l’auteur a placé la scène de son élection fictive. Ses personnages sont : le gouverneur de l’état et sa fille Henriette, Beckendorf, un Allemand, citoyen naturalisé et représentant à la législature, Gertrude, sa femme, Mortimer, son fils, John, son commis, Randolph, sénateur de l’état, Gammon, Trimsail, Turncoat, Lovedale, Wagtail, représentans à l’assemblée législative de la Louisiane.

Trimsail est seul dans le bureau, il regarde sa montre et commence à s’impatienter.


« TRIMSAIL. — En vérité, c’est intolérable ! J’ai attendu ici plus d’un quart d’heure les autres membres du comité des cinq, nommés par la chambre pour examiner si l’article 5,000 du code civil de la Louisiane a besoin d’être amendé. Nous sommes invités à faire notre rapport demain à l’ouverture de la session, il est près de 7 heures 1/2, la séance