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Il accepta de bonne grâce d’être foudroyé en cas de parjure, et Mliss glissa jusqu’au bas de l’arbre : pendant plusieurs minutes, on n’entendit rien que le craquement des noix sous la dent du maître.

— Vous êtes mieux ? demanda-t-elle avec sollicitude.

Le maître avoua qu’il se sentait réconforté, puis, la remerciant gravement, fit mine de retourner sur ses pas. Comme il s’y attendait, elle ne tarda pas à le rappeler. Il se retourna. Elle était debout, pâle, avec de grosses larmes dans ses yeux dilatés. Le moment favorable était venu ; il alla droit à elle, lui prit les deux mains, plongea son regard dans ses yeux humides, et dit avec son sérieux ordinaire : — Lissy, vous souvenez-vous de la première soirée où vous êtes venue me voir ?

Elle s’en souvenait.

— Vous m’avez demandé si vous pourriez venir à l’école, parce que vous vouliez apprendre quelque chose et être meilleure, et je vous ai répondu…

— Viens ! acheva l’enfant avec vivacité.

— Que diriez-vous si le maître venait à son tour vous dire qu’il se sent seul sans sa petite élève, et qu’il lui demande de venir lui apprendre à être meilleur aussi ?

L’enfant tint quelques instans sa tête baissée sans rien répondre. Le maître attendait tranquillement. Tenté par le silence, un lièvre se hasarda tout près d’eux, et, levant jusqu’à ses yeux d’escarboucle ses pattes de velours, s’assit pour les regarder. Un écureuil descendit à mi-chemin du tronc rugueux de l’arbre abattu, et là s’arrêta brusquement.

— Nous attendons, Lissy, dit tout bas le maître, et elle sourit. Agités par une brise fugitive, les arbres balançaient leurs sommets, un long filet de lumière, se glissant entre leurs branches entrelacées, tombait en plein sur le visage irrésolu de la petite fille. Tout à coup elle saisit la main du maître de la façon brusque qui lui était propre. Ce qu’elle dit, à peine l’entendit-on ; mais le maître écarta de son front les grands cheveux noirs, et l’embrassa. Ce fut ainsi qu’ils quittèrent les nefs humides, les acres parfums de la forêt, pour la route découverte où pleuvait le soleil.


III

Moins hostile désormais à ses autres compagnons, Mliss gardait cependant avec Clytemnestre une attitude offensive. Peut-être la jalousie n’était-elle pas entièrement endormie dans sa petite poitrine passionnée, peut-être était-ce seulement parce que les blanches rondeurs et les contours potelés offrent plus de surface aux