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Voulez-vous mon opinion sur son compte ? Elle est parfaitement dégoûtante. Voilà tout ce qu’a pour le moment à vous dire

« Votre respectueuse, MELISSE SMITH. »


Le maître médita cette étrange épître jusqu’à ce que la lune eût levé son brillant visage au-dessus des montagnes lointaines et illuminé le sentier de l’école, durci par le va-et-vient continuel des petits pieds. Il sema ce sentier des morceaux de la lettre, qu’il avait déchirée, puis se sentit plus calme, ayant pris son parti. Au lever du soleil, il se frayait un chemin à travers les fougères semblables à des palmes et les épais taillis de la forêt de pins, faisant partir ici un lièvre de son gîte, s’attirant plus loin une protestation querelleuse de la part de quelques corneilles dissipées qui avaient évidemment fort mal passé la nuit, et gagnait ainsi la crête boisée où il avait une fois rencontré Mliss. Là il trouva bien encore le pin abattu et ses branches frangées, mais le trône était vide. Comme il approchait cependant, une forme qui lui parut être celle d’un animal effarouché bondit à travers les branches sèches, passa sur le corps du monarque déchu et se blottit dans quelque feuillage ami. Le maître, en atteignant le vieil arbre, y trouva un nid encore tiède, et, ayant regardé en l’air, aperçut haut perchée la fugitive. Ils s’observèrent en silence, elle fut la première à parler. — Que voulez-vous ? demanda-t-elle brièvement.

Le maître s’était tracé une ligne de conduite. — Des pommes sauvages, répondit-il avec humilité.

— Vous n’en aurez pas ! Allez-vous-en. Pourquoi n’en pas demander à Clytemenerestre (Mliss semblait trouver plaisir à exprimer son mépris en joignant des syllabes additionnelles au nom classique déjà long de sa compagne) ? Oh ! vous, méchant !

— J’ai faim, Lissy. Je n’ai rien mangé depuis le dîner d’hier. Je meurs de faim. — Le jeune homme s’appuya de tout son poids à l’arbre, comme s’il tombait d’inanition.

Le cœur de Mliss fut touché. Dans les jours amers de sa vie vagabonde, elle avait connu la sensation qu’il simulait avec art. Désarmée, mais sans renoncer tout à fait à ses soupçons, elle lui dit : — Fouillez sous l’arbre, à côté de vous, et vous trouverez ce qu’il vous faut, surtout n’en parlez à personne. — Mliss avait ses dépôts de provisions, comme les rats et les écureuils ; mais le maître ne sut rien trouver, la faim probablement le privant de l’usage de ses sens. Mliss devint perplexe. Enfin elle lui jeta un regard de lutin à travers les branches, et demanda : — Si je descends et que je vous en donne, me promettez-vous de ne pas me toucher ?

Le maître promit.

— Que la mort vous prenne si vous mentez !