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déplacement de plusieurs industries qu’il conviendra de suivre dans leur émigration et de mettre sans retard en communication avec les grands marchés et la mer. Enfin il est possible que sur certains points du territoire il se soit établi, depuis les dernières concessions, de nouveaux courans commerciaux qui mériteraient une exception à la règle de prudence que nous imposent l’état du crédit public et la situation du budget. Dans ce champ limité, où s’agiteront tant d’intérêts fort respectables, les concessionnaires trouveront à glaner quelques certaines de kilomètres, en attendant que l’amélioration du réseau permette de reprendre plus activement, sans péril et sans trop de sacrifices, les grands travaux de chemins de fer.

D’après les devis qui sont ordinairement présentés à l’appui des demandes de concession, il semblerait que les nouvelles lignes, pour lesquelles on ne sollicite ni subvention ni garantie d’intérêt, doivent en peu de temps s’exploiter avec bénéfice. Les documens les plus certains prouvent que cette espérance aboutirait le plus souvent à une déception. Que l’on consulte les renseignemens fournis par les compagnies. Il y a sur le nouveau réseau, et même sur l’ancien, des lignes relativement peu coûteuses qui, après plusieurs années de service, ne donnent encore que de la perte. On ne saurait prétendre cependant qu’elles soient mal exploitées ; elles sont bien pourvues en personnel et en matériel, elles font partie d’un vaste groupe, et la plupart s’embranchent sur de grandes voies qui les mettent en relations presque directes avec les principales villes de la région. Tout en faisant la part des économies qu’une entreprise plus modeste essaierait de réaliser, comment admettre que de nouvelles lignes, établies dans des conditions moins favorables, seraient mieux en mesure de balancer leurs recettes et leurs dépenses ? Les erreurs en pareille matière sont ruineuses. Invoquer ainsi les résultats connus, jeter l’eau froide de la statistique sur des illusions trop ardentes, mettre un chiffre à la place d’une chimère, ce n’est point combattre l’esprit d’entreprise. Il faut en toutes choses savoir ce que l’on fait, et nous préférerions, pour notre part, voir accorder une subvention et la garantie d’intérêt pour un chemin de fer utile plutôt que d’assister gratuitement aux infortunes d’un concessionnaire imprudent et de ses associés. Les voies ferrées ne se sont développées en France que du jour où elles sont devenues ce qu’on appelle vulgairement une bonne affaire ; elles ne se développeront encore que si elles continuent à être au moins une affaire sûre. C’est pourquoi l’autorité qui délivre les concessions et le public qui apporte ses capitaux sont très intéressés à ne point dédaigner les enseignemens statistiques.