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les bienvenus auprès des compagnies, non point ceux qui ont vieilli au drapeau et qui ne pourraient plus se plier à de nouvelles habitudes, mais ceux qui ont fait un ou deux congés et qui sont encore dans l’âge où l’on oublie et où l’on apprend. L’ancien militaire, appliqué à un service civil, et destiné à se trouver en relations constantes avec le public, a besoin d’oublier la forme quelque peu sommaire du commandement sous les armes et d’acquérir, à l’endroit de cet être ondoyant, divers et peu patient qui s’appelle le voyageur, une modération à toute épreuve. D’après la nouvelle organisation de l’armée, le nombre des jeunes gens sortant chaque année des régimens deviendra très considérable. On se préoccupe déjà de chercher pour eux des carrières civiles appropriées à leurs habitudes. Cette question intéresse directement le succès d’une réforme qui n’est rien moins qu’une révolution sociale, en ce qu’elle peut déplacer et mettre en mouvement toute la nation, changer brusquement les mœurs, les penchans et les carrières. Combien de soldats, après avoir achevé leur temps, ne veulent plus retourner au village ! Éloignés de leur foyer qui peut-être s’est éteint en leur absence, accoutumés au mouvement des villes, ayant désappris le travail de la terre, ils sont complètement dépaysés, et ils vont solliciter leur admission dans les services publics ou dans le personnel des grandes compagnies. « L’art de mettre les hommes à leur place, a dit Talleyrand, est le premier peut-être dans la science du gouvernement. » Cet axiome est à l’usage des hommes d’état, qui bien souvent l’oublient ; on peut dire de même que l’art de procurer aux citoyens les places qui leur conviennent est très essentiel pour le bon ordre de la société. La liberté ne suffit pas toujours pour cette sorte d’aménagement humain. Elle est commode, mais parfois dangereuse, lorsqu’elle laisse se multiplier au milieu d’une nation la classe des déclassés. Il convient donc de songer aujourd’hui plus que jamais à l’avenir de cette nombreuse portion d’anciens militaires qui dans quelques années encombrera nos grands centres de population. Les chemins de fer leur offriront une ressource très précieuse qui se chiffre déjà par l’emploi de 45,000 hommes attachés aux différens services de l’exploitation. En Allemagne, le personnel presque tout entier est organisé militairement. Tôt ou tard en France, par la force des choses, nous en viendrons là.

Que l’on se rassure cependant, les anciens militaires ne prendront pas toutes les places ; il en restera pour les femmes, qui leur font, pour certaines catégories d’emplois, une rude concurrence. En 1869, l’effectif des femmes au service des chemins de fer était de 4,500 ; il dépasse aujourd’hui 10,000. L’épreuve a donc réussi, puisque les compagnies facilitent de plus en plus l’admission de cette classe si intéressante d’auxiliaires. Les femmes sont employées