Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/863

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

belle, ne peut pas être considéré comme un tableau. D’autres paysagistes et même quelques peintres de genre abusent de la peinture au couteau, qui ne donne qu’un modelé insuffisant, mais détache au moins les uns des autres les divers plans d’un paysage. Le procédé de M. Nazon, que j’appellerais volontiers la peinture en pattes de mouche, est encore bien plus hasardé.

M. Masure continue à choisir ses sujets sur les côtes de la Méditerranée et surtout dans le golfe de Gênes. Sa peinture douce et claire, où le bleu domine, a pourtant des teintes d’une vivacité extrême et d’une exquise fraîcheur. Il excelle à rendre la transparence lumineuse des eaux profondes sous le ciel du midi. Dans sa vue d’Antibes, la surface verte de la mer et les petites vagues arrondies qui viennent gracieusement se briser sur la plage qu’elles couvrent d’un flot d’écume argentée sont d’une incomparable vérité pour quiconque a vécu dans ces parages. Je n’en dirai pas autant de M. Appian, qui donne aux eaux et au ciel de la Méditerranée les verdeurs un peu agrestes de ses beaux paysages forestiers. M. Appian voit le midi à travers une brume chaude, comme celle des brouillards d’été, mais sous un aspect orageux et mélancolique. — M. Lansyer au contraire, qui depuis quelque temps voyage aussi dans le midi, cherche à en reproduire la transparence et la netteté. On ne saurait lui refuser du style et de la vérité. Son panorama des Alpes liguriennes est un fort beau morceau de dessin. Sa Citerne sous les oliviers essaie de rendre cet éblouissement du bleu que connaissent tous ceux qui ont voyagé sous ce beau ciel ; mais sa couleur est un peu molle et grisonnante, et il faut lui savoir gré de traduire aussi bien sa pensée avec des moyens d’expression beaucoup trop faibles.

Un peintre vraiment original est M. César De Cock. Tandis que la plupart des peintres préfèrent les couleurs chaudes et mûries de l’automne, M. César De Cock a une sorte de passion juvénile pour les âpres saveurs et les fraîcheurs exquises de la verdure printanière. Il aime les dessous de bois, les taillis verdoyans au mois de mai, les fourrés qui bourgeonnent au mois d’avril. Il rend avec une habileté extrême le duvet moelleux des jeunes pousses, la forme indécise des buissons seulement à demi vêtus de leurs feuilles nouvelles, la foule des jeunes tiges qui encombrent les taillis, la profondeur chatoyante qui se laisse entrevoir au travers, — le tout sans confusion ni minutie, avec la précision d’un œil exercé à voir tous les détails sans perdre la vue de l’ensemble, et avec l’aisance d’un pinceau jeune et hardi que rien n’embarrasse. M. De Cock n’est point un imitateur, c’est un peintre original auquel on peut prédire un brillant avenir.