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renierez votre nouveau maître, et vous irez reprendre votre place vide au monastère, parmi les séraphins du paradis, qui, j’en ai peur, ne vous reconnaîtront plus.

Avec M. Lefebvre, nous revenons sur la terre, et nous sommes certains de ne jamais la quitter. M. Lefebvre, quoique très jeune encore, n’est pas un homme d’une imagination mélancolique ou déréglée. C’est tout simplement un artiste intelligent, consciencieux, vraiment épris de la nature : voilà pourquoi ses premiers essais ont été presque des coups de maître. Peut-être seulement pourrait-on lui reprocher une certaine monotonie, qui n’est pourtant pas de la stérilité. Il débutait, il y a quelques années, par une magnifique étude de femme couchée. Au dernier Salon, il nous donnait la Vérité sortant de son puits ; cette fois il nous présente sous le titre de la Cigale une jeune femme aussi dépourvue de vêtemens que ses devancières. Ce choix des sujets n’est pas un hasard, c’est une véritable vocation. Les formes féminines lui donnent l’occasion de déployer son talent de dessin peut-être un peu sec, mais toujours fin et précis. Toutes ses qualités ordinaires se retrouvent dans la Cigale. La pauvre bestiole est toute jeune encore ; elle est nue, il fait froid. La bise souffle, agitant un reste d’écharpe avec lequel elle essaie vainement de se couvrir. Elle se blottit contre la muraille et croise les bras sur sa poitrine par un geste aussi vrai que charmant. Son visage, un peu rougi par le vent du nord et peut-être par les larmes, regarde au hasard avec une expression d’étonnement et de honte ; mais, faut-il le dire ? toutes ses intentions se devinent plus qu’elles ne se traduisent. Sans les feuilles mortes qui tourbillonnent, le bout de draperie secoué par la bise et les flocons de givre répandus sur le sol, on ne saurait pas que la pauvre fille a froid ; on la croirait seulement un peu intimidée de se voir nue. C’est le défaut des compositions de M. Lefebvre : elles ne sont pas parlantes. Il s’absorbe trop dans l’étude du modèle pour l’animer de sa propre pensée. En revanche, quel talent pour le portrait ! Celui de Mme G. C… est presque un chef-d’œuvre. Selon les habitudes de l’auteur, qui cherche les difficultés pour avoir le plaisir de les vaincre, la figure se présente de face, en plein jour, toute modelée dans le clair. La tête est légèrement inclinée en avant, le nez droit, un peu long, la bouche nette et ferme, le menton un peu anguleux. Du fond de l’arcade sourcilière, les yeux grands ouverts vous regardent fixement, de grands yeux d’un bleu clair, à la fois timides et hardis, inquiets et étincelans. L’attitude du corps complète la physionomie. La jeune femme, simplement vêtue d’une robe noire, est assise sur un fauteuil de soie jaune (la couleur favorite de M. Lefebvre), les mains croisées, le