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prétendent pas corriger la nature, de peur de la gâter encore davantage en mettant une symétrie artificielle à la place de la secrète harmonie qui règne dans toutes ses œuvres, même les moins parfaites !

M. Faure a des qualités toutes différentes. Son portrait de Mme J… se distingue par la simplicité de l’attitude, presque par la froideur de l’expression. C’est une femme grande, mince, blonde, aux traits effilés, au regard calme et fier, qui se tient assise toute droite sur une de ces chaises carrées qui ne trouvent plus guère place dans le mobilier des femmes. Cette figure a un air de noblesse qui rappelle de loin les grandes dames des tableaux de Van Dyck. La touche, la couleur même, semblent imitées de ce maître. Pourquoi faut-il que nous ayons à reprocher à M. Faure le dessin négligé et insuffisant de ces belles mains effilées que Mme  J… laisse traîner sur ses genoux avec une royale indifférence ? Il est fâcheux que de telles négligences viennent déparer une œuvre dont le grand mérite est de n’être ni affectée, ni banale.

M. Saint-Pierre est un dessinateur plutôt qu’un coloriste, ce qui ne l’empêche pas de tenter des effets de couleur très hardis, on pourrait même dire plus hardis qu’heureux. Le remarquable portrait qu’il expose cette année représente une jeune femme avec des cheveux d’un blond ardent, des yeux bleu clair relevés dans les coins à la chinoise, vêtue d’une robe bleu d’azur qui rappelle la couleur de ses yeux, le tout sur un fond blond doré qui ne s’éloigne guère du ton de la chevelure. Sa physionomie étrange, dédaigneuse et presque méchante, est rendue d’une touche dure, mais singulièrement expressive. Ce n’est pas du moins un modèle quelconque, servant de thème à un tableau quelconque ; c’est une personne vivante, qu’on reconnaîtrait au passage. Malheureusement les bras, le cou et la gorge ne paraissent pas aussi scrupuleusement copiés. Une autre figure du même auteur, la Bacchante, est adossée à un tertre de gazon, et se renverse en arrière sur une peau de tigre en élevant une grappe de raisin au-dessus de sa tête. Ce morceau, dont l’exécution un peu froide manque de la fougue que le sujet comporte, montre du moins comment l’artiste peut dessiner lorsqu’il s’en donne la peine.

M. Delaunay expose, comme M. Saint-Pierre, un sujet mythologique et un portrait de femme. Diane, au fond d’une forêt, descend dans le bassin d’une claire fontaine ; c’est une bonne étude, bien dessinée, solidement peinte, mais une composition sans naturel et sans intérêt. Au contraire le portrait de Mlle  L… est une de ces figures saisissantes qui se gravent dans la mémoire et qu’on se figure avoir toujours connues quand on les a regardées une fois. La tête est brune, vivante, bien en relief, et vous regarde en face avec