Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/831

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peu excentrique qui sent plus l’atelier que le cabinet. Une toque de fourrures sur la tête, un paletot de fourrures entr’ouvert de la main droite, le coude rejeté sur le dossier du fauteuil, l’œil grand ouvert sous ses paupières épaisses et comme en observation devant le public, il a l’air de toiser du regard un interlocuteur absent et de méditer quelque trait satirique. La bouche, un peu serrée, est plus dédaigneuse que bienveillante ; c’est la bouche d’un railleur un peu brutal, le regard d’un esprit brusque, plus vif que profond, plus fertile en saillies qu’en idées. La touche, peut-être un peu pailletée, est grasse, empâtée même, et dans sa finesse elle rend à merveille les boursouflures d’une chair sanguine, colorée avec une verve et un brillant qui étonnent dans d’aussi petites proportions.

Le portrait de M. S… par M. Liévin de Wynne est incontestablement l’une des œuvres capitales du Salon. Il est difficile de juger un portrait sans en connaître le modèle. On jurerait pourtant, rien qu’à le voir, de l’exactitude de la ressemblance. Il y a un caractère de vérité, ainsi qu’une remarquable noblesse, dans cette grande figure d’homme à longue barbe blonde, si simplement posée, si simplement vêtue, debout, de trois quarts, la main droite sur la hanche, en habit noir, un chapeau à la main. L’expression du visage est aussi fière et aussi réservée que l’attitude ; les traits sont fins, calmes, réfléchis, modelés d’une touche grasse, pleine, souple et aisée. La coloration générale en est grave, brune, sobre, un peu sévère, mais d’une grande richesse de tons. Le fond, qui représente vaguement un paysage gris brunâtre, s’harmonise admirablement avec la figure. De qui s’inspire particulièrement M. Liévin de Wynne ? Est-ce de Van Dyck ou de Rembrandt ? Toujours est-il qu’il les continue dignement dans l’école flamande, et que ce tableau pourrait être mis sans trop de péril à côté de ceux des grands maîtres.

M. Ricard est un homme d’un vrai talent et d’un sens distingué, qui conserve, lui aussi, les grandes traditions de la peinture. Tous ses portraits ont du caractère, mais ils manquent peut-être un peu de simplicité et de franchise. Il expose cette année une figure de vieillard au long visage, aux longs cheveux, à la barbe blanche, d’un aspect froid et imposant. Le fond est, comme chez les vieux maîtres, coupé en deux parties, l’une sombre et noyée dans un clair-obscur brunâtre, l’autre plus lumineuse et figurant le ciel. La lumière tombe sur les plans du front, qui sont larges et beaux. Le nez est long et anguleux, le regard clair, les joues serrées, le menton mince. Ce portrait, qui n’est pas voyant, s’anime et grandit à mesure qu’on le regarde ; mais pourquoi le ton général en est-il un peu vieux et verdâtre ? Pourquoi M. Ricard s’amuse-t-il à donner à