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travail, les vignettes et les lettres historiées sont des chefs-d’œuvre.

Loin de trouver ces documens exagérés, n’y aurait-il pas lieu de se demander s’ils ont tenu compte de toutes les dégradations et de toutes les pertes ? Pour les monumens, non évidemment. On dit qu’il n’y a pas eu beaucoup de chefs-d’œuvre détruits : il nous semble que nous en avons cité quelques-uns. Et combien d’œuvres distinguées et rares ont été mutilées ! Combien de fragmens détachés de monumens dont ils étaient comme une partie vivante, et qui par là, comme par leur antiquité et leur caractère, restent à jamais regrettables ! Quant aux bibliothèques, nous soutenons que Grégoire n’a pas tout dit ; les preuves qu’il apporte du vandalisme s’attaquant aux bibliothèques, aux collections, aux cabinets scientifiques, sont loin d’équivaloir à la réalité. Coupé (de l’Oise) lui-même, dans un rapport détaillé du 21 janvier 1794 (4 pluviôse an II) sur les bibliothèques, n’a pu tout dire par la raison que beaucoup de faits éclaircis aujourd’hui restaient obscurs alors, et que beaucoup plus encore probablement demeureront toujours inconnus. La révolution assurément mit un grand zèle à répandre dans une foule de bibliothèques, non-seulement à Paris, où les richesses existantes déjà augmentèrent dans une proportion très grande, mais dans les départemens, les ouvrages provenant des maisons religieuses et des biens confisqués des émigrés. Néanmoins entre le moment où ces volumes, dont beaucoup étaient fort précieux, vinrent s’entasser au nombre de plus de quinze cent mille dans divers dépôts du département de la Seine et à Versailles, et l’instant où ils trouvèrent leur place définitive, il s’écoula un temps que le vandalisme devait mettre à profit. La convention avait eu beau nommer une section de bibliographie ; le travail était loin d’être fini en 1798, quand le directoire faisait chercher dans les dépôts les élémens de sa propre bibliothèque et de celle du conseil d’état. Longtemps après ces rapports de Grégoire le désordre continuait dans ces fonds, destinés à former les bibliothèques départementales, presque toujours livrés à des administrations peu compétentes. On ne sait pas tout ce qui fut perdu, vendu à vil prix, emporté à l’étranger, de livres remarquables par la beauté de la reliure, la rareté de l’édition, de manuscrits d’une grande valeur sous le rapport de l’art ou de l’érudition. Les plus beaux parchemins, les ouvrages les plus curieux, furent vendus au poids à des débitans qui en enveloppaient leurs denrées.

À Paris, les dilapidations persistent dans certains dépôts malgré les plaintes des rapporteurs et les soins du comité. Dans sa sollicitude ingénieuse, la commission des arts avait décrit avec soin, cherché à prévenir tous les dangers que peuvent courir les livres,