Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/804

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

temps calmes et prospères mérite d’y être signalée. On peut suivre comme à la trace dans la vie privée ce goût, ces satisfactions de plaisir ou d’art, ces jouissances coûteuses, les unes délicates, les autres grossières dans leurs raffinemens mêmes. La spéculation, l’agiotage sur les assignats et d’autres valeurs se donnent carrière en pleine terreur : argent presque toujours aussi mal dépensé que mal acquis ! Nous faisons allusion à ces enrichis du parti des corrompus et du parti hébertiste, joueurs éhontés, pris en flagrant délit de manœuvres frauduleuses, mais avant tout désignés aux soupçons et comme trahis par l’imprudente profusion de leurs scandaleuses dépenses. À côté de ces témoignages d’une opulence insolente et d’une prodigalité du pire aloi, il ne manque pas de preuves d’un luxe plus avouable, et on pourrait citer, en s’aidant des mémoires du temps, telles maisons où se conservent les restes d’une hospitalité élégante et riche, tels salons qui, comme celui de l’acteur Talma, où se pressaient des célébrités de tout genre, présentaient encore les somptueux raffinemens de la vie, la coûteuse recherche des objets d’art, l’éclat de fêtes où se réunissaient la danse, la musique, le chant. C’est à une de ces fêtes brillantes que Marat, apparaissant soudainement sans être annoncé, vint faire un épouvantable esclandre, invectivant plusieurs des femmes présentes et apostrophant Dumouriez.

Si j’ai rappelé ces preuves, peu connues ou assez oubliées, du luxe privé pendant la révolution, c’est que les mêmes causes qui expliquent la persistance de cet élément dans la vie des particuliers agissent aussi sur les peuples. Malgré les épreuves des révolutions, et même quand le nécessaire manque ou est menacé, ils ne renoncent pas à tout superflu ; ils veulent encore des fêtes, des théâtres. La politique a beau multiplier ses tragédies, ses prodigieux changemens à vue, la réalité ne leur suffit pas. La révolution a donné une satisfaction étendue à ce besoin public. Non-seulement elle tint ouverts les théâtres, qui ne chômèrent point, comme on l’a remarqué, pendant la terreur, et qui même, grâce à une concurrence illimitée, se multiplièrent, — non-seulement le Théâtre-Français et l’Opéra réunirent le soir, pour entendre quelque œuvre célèbre et quelque acteur ou chanteur en renom, ces girondins et ces montagnards, plus tard ces dantonistes et ces partisans de Robespierre, qui y venaient chercher l’oubli du jour et peut-être du lendemain ; mais on sait quels furent le nombre et l’éclat des fêtes de cette période. La révolution songea aussi aux arts ; elle leur ouvrit des salles où ils exposèrent leurs œuvres, que tout le monde put visiter. Elle fonda, dota des écoles, des établissemens destinés à les enseigner, à les développer. Elle eut des encouragemens pour tout ce