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enfans. Octave éteignit toutes ses dettes, supprima les impôts, et telle fut à Rome l’abondance du numéraire, que le taux de l’argent de douze tomba à quatre, et que la valeur des choses doubla. » L’Égypte étant devenue province romaine, Octave n’eut rien de plus pressé que de la soustraire à l’autorité du sénat, et de la garder pour lui. C’eût été en effet très impolitique à ses yeux que de laisser un pays de cette importance commerciale et militaire à la gouverne d’une aristocratie d’où pouvait à chaque instant s’élever un ambitieux qui, fort d’un pareil proconsulat, deviendrait obstacle et péril pour la dynastie. On ne visita même plus l’Égypte sans une autorisation spéciale du souverain, et les emplois n’y furent désormais exercés que par de simples commis dont la personnalité ne comptait pas. Cette mesure de gouvernement, instituée par le divin Auguste, continua d’être en vigueur sous ses successeurs.

Cléopâtre occupe une grande place dans l’histoire. Ce trône chancelant sur lequel à dix-huit ans elle était montée, elle entreprit de le restaurer, de lui rendre son ancien éclat. De Rome venait le danger, elle se proposa d’annuler Rome. Grand dessein, mais qui ne pouvait s’accomplir qu’à la condition que Rome elle-même y prêterait ses armes ! Là fut toute la politique de Cléopâtre, une vraie Grecque, avisée dès le premier âge, précoce au moins autant d’intelligence que de tempérament, sensuelle adolescente qui déjà forme d’illustres plans. Ses amours avec César, représentant du principe monarchique, sont bien plutôt une alliance qu’une liaison. L’oligarchie pompéienne l’avait précipitée à bas du trône, César l’y replaça. Il aurait fait bien davantage ; que n’eût point fait pour une Cléopâtre un tel amant ! On l’aurait vu transporter d’Occident en Orient le siège de la toute-puissance ; roi des rois, il l’eût couronnée sa propre reine. Le poignard de Brutus coupa court à ces fiers projets. À ce moment, le destin pousse au-devant d’elle. Marc-Antoine, et comme contre-poids à ce nouvel élément de fortune, déjà moindre, un adversaire d’autant plus redoutable qu’il n’a pour lui que des vertus, des forces négatives, et ne connaît que la tactique du silence. De l’initiative d’Octave, de ses talens, de son courage, rien à craindre ; mais, si vous commettez des fautes, il les saura porter à son profit. Et des fautes, comment n’en pas commettre quand on ne se possède plus ? Avec César, Cléopâtre s’était gardée, sinon tout entière, du moins en grande partie, à ses desseins ambitieux. La tête eut son insolation, le cœur ne battit pas. Aussi quelle habileté de vues, quelle puissance et quelle sagesse chez cette étrangère de vingt-trois ans, tenant salon à Rome, et de sa jolie main, pleine de présens, de faveurs, assouplissant à ses projets une aristocratie haineuse et récalcitrante ! Mais sitôt l’arrivée d’Antoine