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savent ni lire ni écrire. La paresse, qui est la gardienne du work-house, le vice, qui est le pourvoyeur des bagnes et des cachots, correspondent, dans neuf cas sur dix, à un défaut d’éducation. les conséquences d’un pareil état de choses étaient faciles à tirer. On s’est demandé si l’état, qui a le droit de punir les crimes, n’avait pas aussi le droit et le devoir de les prévenir. La propriété ne serait-elle pas mieux défendue par les lois de la morale que par des agens de police et des geôliers ? La vie des citoyens ne serait-elle pas plus en sûreté chez une nation où l’école serait le rempart de l’ordre public que chez une autre où l’éducation serait livrée aux hasards de la charité ? Un moraliste anglais a même posé en ces termes le terrible problème des temps modernes : instruire les enfans du peuple ou les pendre. Qu’est-ce que le confesseur ou le ministre que les différens cultes accordent au condamné à mort pour le conduire à l’échafaud, sinon une sorte d’instituteur ? Seulement il vient trop tard.

Quoique l’idée de distribuer à tous l’éducation gratuite soit nouvelle en Angleterre, il y a toujours eu chez nos voisins une tendance très forte à exonérer les classes pauvres d’une charge trop lourde pour elles. Beaucoup de personnes envoient leurs enfans à l’école et paient 3 deniers (30 cent.) par semaine pour une instruction qui coûte en réalité 9 deniers (90 cent.) ; la différence est fournie par les sources de la charité publique. Encore les écoles primaires, elementary schools, sont-elles sous ce rapport les moins bien partagées ; les grammar schools et les universités offrent à la classe moyenne divers avantages pour alléger le fardeau des dépenses. Grâce à certaines immunités, aux donations et aux legs qui ont été concédés par les générations précédentes, aux exhibitions, sorte de bourses décernées au mérite par le concours, la jeunesse sans fortune peut se frayer un chemin vers les degrés supérieurs de l’éducation. C’est même à ces conditions favorables que l’Angleterre doit plusieurs de ses grands hommes. Les Anglais ont été tout dernièrement encouragés dans cette voie par l’exemple d’autres nations ; en Hollande, plus de la moitié des enfans ne paient rien pour s’instruire ; dans les cantons français de la Suisse et aux États-Unis d’Amérique les écoles primaires sont entièrement gratuites. L’état de New-York était, il y a quelques années, un des seuls qui eût conservé la rétribution scolaire. Une nouvelle loi édictée en 1867, free schools act, abaissa cette barrière, et moins d’une année après les rapports des officiers civils constataient une augmentation de 20 à 30 pour 100 dans le nombre des enfans qui suivaient les cours de l’école. Aujourd’hui, d’après l’expression d’un Américain, l’enseignement luit pour les pauvres et les riches comme la clarté du gaz pendant la