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l’état d’un pouvoir inquisitorial ? On le comprit si bien que le gouvernement lui-même confia l’exercice de ce droit à des conseils locaux, émanation directe des citoyens qu’ils doivent surveiller. Il y avait pourtant lieu de se demander si dans les sociétés les plus libres on n’a point jugé à propos d’établir diverses contraintes en vue d’un intérêt général. N’existe-t-il point en Angleterre une loi qui oblige les mères à faire vacciner leurs enfans ? Les propriétaires ne sont-ils point tenus de réparer et de badigeonner leurs maisons ? Les quarantaines n’imposent-elles point aux vaisseaux revenus d’un voyage de long cours certaines servitudes ? Toutes ces mesures se justifient par les services qu’elles rendent ; mais, s’il est vrai que le développement de la richesse publique, le bien-être et la moralité des citoyens, la sécurité politique d’une nation, tiennent en grande partie à la fréquentation des écoles, pourquoi les pouvoirs locaux ne seraient-ils point autorisés à prendre contre l’ignorance les mêmes précautions dont ils se servent contre les maladies contagieuses ? La liberté ne mérite point ce nom quand elle entreprend sur les droits et la liberté des autres ; or beaucoup d’Anglais admettent que l’enfant a le même droit à la nourriture de l’esprit qu’à l’alimentation matérielle ; l’obligation intervient dans ce cas pour défendre le faible contre le fort. Ces réflexions avaient converti les libéraux éclairés, mais en serait-il de même pour les classes ouvrières ? On pouvait craindre que les travailleurs ne se soumissent point à la contrainte ; c’est tout le contraire qui arriva. Les ouvriers anglais sont beaucoup plus avancés sur cette question qu’on ne pourrait le supposer ; ils ne repoussent jamais un progrès politique ou moral par un faux sentiment d’indépendance. On assista même dans cette lutte à un spectacle étrange : d’un côté, de nombreuses députations d’artisans venant demander que l’éducation fut obligatoire pour tous et se soumettant à toutes les conséquences de la loi, non pour leur propre avantage, mais pour celui de leurs enfans, et d’un autre côté les évêques, les archevêques protestans, comme, celui d’York, faisant appel à ces mêmes ouvriers pour exciter leurs craintes égoïstes et leurs préventions contre un acte de sacrifice personnel. Partout ce fut un sentiment de justice qui l’emporta. En 1867, le parlement anglais avait d’ailleurs fait un premier pas vers l’enseignement obligatoire : le factory halftime act ordonnait que tous les enfans employés dans les filatures de coton au-dessous d’un certain âge seraient contraints de suivre les cours de l’école pendant un nombre d’heures par semaine. Cette loi rendit des services ; mais elle avait eu le sort de, beaucoup d’autres : appliquée dans quelques endroits par les chefs de manufactures qui s’intéressaient à l’éducation des ouvriers,