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armée allant d’elle-même, presque sans chefs, à l’assaut de tout ce qui existe, poursuivant sa sombre victoire jusque dans les ruines, au risque d’ajouter le déshonneur aux malheurs de la patrie.

De révolutions politiques, il n’y en a plus guère après cela, ou plutôt dans l’esprit des obscurs meneurs des agitations contemporaines et selon leurs aveux, moins équivoques que leur grammaire, les mouvemens politiques ne sont qu’un moyen dont on peut se servir pour aider « à l’accomplissement du but final. » Le « but final, » c’est la révolution, c’est-à-dire la dissolution par le socialisme arrivé à la toute-puissance. Le 18 mars, en réalité, est le dernier mot de ce travail qui depuis plus d’un demi-siècle tend incessamment à grossir les insurrections, à en aggraver le caractère et la portée en les faisant passer de l’ordre politique à l’ordre social. Le 18 mars a été l’assaut suprême tenté par tous les instincts de destruction coalisés et merveilleusement servis tout à coup par la plus effroyable catastrophe publique ; mais ici il est arrivé ce qui arrive toujours lorsque ces tragiques conflits en viennent à se simplifier. Le socialisme, trompé par tout ce qui lui laissait pour un instant une apparence de succès en lui livrant pour théâtre la première ville du monde, le socialisme a tenté l’impossible ; il s’est heurté contre ce qu’il y a de plus indestructible, contre cette dernière force des sociétés en détresse, le sentiment le plus simple de conservation, ce sentiment qui se contracte et se raidit dans un suprême effort quand il s’agit de vivre ou de mourir, — et l’insurrection du 18 mars a été vaincue, matériellement vaincue ; elle a été étouffée dans les torrens de sang dont elle a provoqué l’effusion, sous la cendre des incendies qu’elle avait allumés. De l’épouvantable crise, il est resté seulement l’amertume de la défaite chez les vaincus, et chez les vainqueurs eux-mêmes la vive, la forte et douloureuse impression d’une victoire chèrement payée, d’une victoire qui, avant de redresser d’un seul coup une société menacée d’effondrement, a laissé entrevoir dans un éclair lugubre toutes les extrémités de la décomposition et de la ruine.

Le choc a été terrible et sanglant en effet. Il reste comme un fantôme de deuil, comme un de ces événemens qui dépassent la mesure ordinaire des épreuves publiques, qui vont rejoindre les grands cataclysmes de l’histoire. Il a pesé, il pèse encore et il pèsera longtemps peut-être sur la conscience nationale du poids de toutes ces circonstances inexpliquées, de ces péripéties accumulées et confuses, de ces contradictions qui en font une sorte d’énigme, car c’est là précisément le caractère de cette tragique aventure : l’insurrection du 18 mars est à quelques égards une énigme, elle est pleine d’obscurités, d’élémens complexes. Des causes générales