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éducation des enfans du peuple par des officiers du peuple, choisis dans des assemblées locales et contrôlés par les représentans de la nation à la chambre des communes. Le nouveau projet de loi, tout en réservant à l’état l’inspection et la surveillance des écoles, les plaçait sous la direction de conseils librement élus et auxquels il donnait le nom de school boards.

Le grand champ de bataille fut la question religieuse. Cobden avait prédit qu’après une énorme perte de temps et d’argent, après avoir épuisé toutes les expériences et tous les moyens de transaction, l’Angleterre en arriverait un jour, de même que les États-Unis et la Hollande, au seul système logique, — la séparation de l’école et de l’église. Il est bien vrai qu’autrefois dans la Grande-Bretagne l’état se rattachait au protestantisme officiel par des liens qui semblaient indissolubles, mais qui ont été successivement relâchés ou rompus. L’émancipation des catholiques, le marriage act, qui permet aux dissidens de se marier dans leurs chapelles, l’abolition des church rates, le désélablissement de l’église anglicane en Irlande, ont été autant de victoires de la liberté civile sur l’ordre religieux. Que demandent aujourd’hui les non-conformists et les membres de la ligue ? Que l’on poursuive l’œuvre commencée en l’étendant à l’instruction primaire. Selon eux, le devoir de l’état est de protéger tous les cultes, mais de n’en favoriser aucun ; il n’a pas le droit de choisir une religion pour le peuple. Le gouvernement se propose dans l’éducation de faire des citoyens ; l’église aspire à faire des chrétiens : que l’un et l’autre jouissent des libertés nécessaires pour remplir leur mission distincte. « Nous n’empêchons point, disent-ils, les familles de donner une éducation religieuse à leurs enfans, nous ne les empêchons nullement de payer pour cette éducation ou de la recevoir gratuitement de la main des pasteurs qui consentent à la donner ; mais nous ne voulons pas qu’on se serve de l’argent du public pour acheter l’enseignement de certains dogmes ni pour encourager le développement d’une secte dominante. » Les avocats du nouveau système demandent que l’instituteur apprenne à lire, à écrire et à compter, qu’il enseigne aux enfans quelques-unes des lois qui gouvernent le monde matériel, qu’il leur inspire le goût du travail, la tempérance, l’amour de la patrie, qu’il leur indique clairement la distinction du bien et du mal : là finit, selon eux, le devoir du maître d’école et commence la fonction du prêtre ou du ministre protestant.

Le projet de loi fut vivement attaqué à la chambre des communes et dans le pays. Les meetings succédèrent aux meetings. Les pétitions affluèrent, couvertes de 300,000 signatures. Des députations furent reçues par M. Gladstone, le comte de Grey et M. Forster. Le