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libéralités, ne distinguait point entre les croyances religieuses ; mais le clergé anglican ne tarda point à se faire sous un tel régime la part du lion. Servi par une organisation puissante, jouissant de la confiance des classes riches, il trouva partout des ressources qui manquaient trop souvent aux autres sectes religieuses, et sans lesquelles on n’obtenait rien du trésor public. Non content de ne donner de l’argent que contre de l’argent, l’état, en sa qualité de souscripteur, imposa encore d’autres obligations aux écoles qui acceptaient ses services, telles que la visite d’inspecteurs nommés par lui, l’admission des enfants appartenant aux familles dissidentes et quelques garanties ayant pour but d’assurer la liberté de conscience. Ces mesures réveillèrent les anciennes défiances du clergé protestant et catholique. Le loup s’était-il glissé dans la bergerie ? Quoi qu’il en soit, l’Angleterre vécut plusieurs années sous ce régime mixte, qui tenait à la fois du système volontaire et du système de protection par l’état. Le premier avait été convaincu d’impuissance ; le second n’obtint guère plus de succès, tant les conditions dans lesquelles il s’exerçait étaient restreintes et défavorables[1]. Nos voisins s’aperçurent un jour avec horreur qu’en dépit de tous les efforts personnels, malgré d’énormes sacrifices d’argent, malgré toutes les ressources de l’administration publique, près de 2 millions d’enfans entre l’âge de cinq et de treize ans ne recevaient aucune éducation dans leur pays. Les chiffres sont inexorables, et les Anglais attachent une grande importance à la statistique. Aussi, vers 1869, la voix de l’opinion publique s’éleva de toutes parts et réclama un système d’éducation vraiment nationale.

Les Anglais ont depuis longtemps reconnu et pratiqué la force de l’association pour le triomphe des idées. Les lois se votent au parlement ; elles se préparent par le concours de certains groupes qui agitent le pays aussi longtemps qu’ils n’ont point obtenu la réparation de justes griefs ou la réforme des anciens abus. En 1869 se fonda dans la ville de Birmingham la ligue de l’éducation nationale (National éducation league). Son programme était tracé

  1. On peut se faire une idée de l’état de quelques établissemens par les rapports des inspecteurs. L’un d’eux, ayant visité une école, témoigna le désir d’entendre une hymne. L’institutrice, véritable pythonisse, agita sa baguette d’un air menaçant, et, les cheveux hérissés, les sourcils froncés, les yeux étincelans d’un feu sombre, s’écria d’une voix aigre : « Enfans, chantez tous en chœur : Christ est doux et miséricordieux. » Une Anglaise (celle-là inspectrice volontaire) interrogeait les élèves sur l’usage des cinq sens. Arrivée à l’organe de l’odorat : « A quoi sert le nez ? demandât-elle. — A se moucher, » répondit gravement l’un des gamins.