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allant jusqu’à reconnaître les grades de certains officiers de l’insurrection. Aura-t-il réussi par ce bizarre système de pacification ? C’est encore une question, d’autant plus que tout dépend peut-être de ce qui se passe à Madrid.

Ici en effet la situation s’est tout à coup singulièrement embrouillée. Le ministère de M. Sagasta, qui n’était pas déjà bien solide, est tombé soudainement, victime de l’incident le plus imprévu. Le cabinet espagnol pratiquait, lui aussi, à ce qu’il paraît, le système des viremens. Le ministre de l’intérieur, se trouvant au dépourvu, avait emprunté une certaine somme au ministre des colonies pour suffire aux besoins de la police, qui a eu fort à faire dans les élections aussi bien qu’à l’occasion du soulèvement carliste. On s’en est aperçu dans le congrès, on a demandé des explications, et, pour se justifier, le ministre n’a trouvé rien de plus simple que de communiquer les rapports d’un certain nombre d’agens de police. Or ces rapports compromettaient un peu tout le monde, sans excepter le roi, à qui on prêtait un rôle peu fait pour le populariser. Le général Serrano était représenté comme préparant la rentrée du prince Alphonse, les républicains devaient mettre la main sur la banque de Madrid, les radicaux complotaient le pillage des manufactures de la Catalogne. Les révélations de la police espagnole étaient trop complètes pour n’être pas inventées, et le ministère est tombé sous le ridicule. On s’est adressé alors au général Serrano, qui, en attendant sa rentrée à Madrid, a délégué ses pouvoirs à l’amiral Topete, et il s’est formé un ministère composé surtout d’hommes de l’union libérale. On en était là lorsqu’est arrivée tout à coup à Madrid la nouvelle de l’amnistie promulguée dans le nord par le général Serrano, et tout a été remis en question. On a trouvé que le commandant de l’armée du nord procédait un peu trop largement avec les insurgés. Maintenant il s’agit de savoir où l’on va. L’amnistie sera-t-elle désavouée, et, si elle est rétractée, l’insurrection exaspérée ne reprendra-t-elle pas des forces ? Le ministère nouveau pourra-t-il se maintenir à Madrid ? Tout cela ne finira-t-il pas par quelque vaste confusion ? Qui pourrait porter la lumière dans cet imbroglio espagnol toujours prêt à recommencer ?

Les événemens marchent pour tous, pleins d’amertumes et de tristesses pour les uns, favorables pour les autres. Que sortira-t-il pour l’Espagne de toutes ces agitations dont la dernière prise d’armes carliste n’est qu’un épisode ? On ne peut pas même le pressentir. L’Espagne recueille le fruit de quarante années de révolutions et de contre-révolutions qui lui font aujourd’hui une existence incertaine et un avenir obscur. L’Italie de son côté recueille le fruit de sa sagesse dans une situation conquise, maintenue et fortifiée par le bon sens autant que par une persévérante habileté. Elle a su conduire ses affaires, passer à travers tous les défilés, et c’est peut-être de cela que lui en veulent ceux qui