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et cet éternel précepteur de fantaisie ignorantissime et balourd, — c’est possible que tout cela soit aussi invraisemblable que l’Ours et le Pacha, mais c’est en revanche beaucoup moins divertissant, Personne plus que nous ne goûte le répertoire d’Alfred de Musset à la rue Richelieu ; ne suffit-il pas cependant de donner ses pièces telles qu’il les a composées, sans vouloir maintenant en faire des opéras-comiques, et surtout sans qu’on vienne fourrager jusque dans ses poésies ? Fantasio, chacun le sait, fut une affreuse chute. On en est à peine rétabli, et voilà qu’avec Namoûna les violons recommencent. Attendons-nous un de ces jours à voir Mardoche, Franchement, s’il y a système, le système n’est pas heureux. Le plus décontenancé en pareille aventure n’est pas le public ; il s’ennuie, trouve la chose absurde et ne revient pas ; mais l’infortuné musicien, c’est lui que je plains, lui, condamné à dépenser en pure perte sa peine et son talent, à lutter contre un sujet absolument dépourvu de situations, qui au lieu de le soutenir l’accable, à mettre en mélodies, non plus de simples vers de libretto, mais de lourdes strophes qui, parodiant le poète, n’offrent au compositeur qu’un thème intraduisible. M. Bizet moins que tout autre était l’homme d’un pareil tour de force. Écrivain à tendances élevées, s’il n’a sous la main un sujet dramatique, son talent dépérit et se traîne. L’auteur de Djamileh a traité sa partition en mélopée. De ce fond monotone et gris, aucun morceau ne se détache. Que vont penser de cet Orient crépusculaire les coloristes tapageurs du salon ? J’aurais plutôt compris une symphonie sur le poème de Musset ; ceci n’est pas même un acte, c’est un entr’acte ; vous attendez toujours que le rideau se lève. Un moment, avec la chanson de l’aimée, il semble qu’un rayon commence à luire. Déception nouvelle ; aussitôt l’orchestre se trouble, la phrase redevient nuageuse. Alors finalement vous en prenez votre parti, non sans qu’à votre ennui se mêle un peu de tristesse, car vous pensez aux brillans débuts de M. Bizet, à ce charmant air de ballet dans la Jolie fille de Perth, à cette fête de la Saint-Valentin si musicalement réussie, à tout ce que promettait cette partition, et que Djamileh n’a pas tenu.

Nous ne reprocherons pointa l’Opéra-Comique d’avoir pris les Noces de Figaro à l’ancien fonds du Théâtre-Lyrique, il y trouve son avantage, et nous y trouvons notre plaisir, puisque le chef-d’œuvre de Mozart remplit la salle et nous enchante une fois de plus. Tâchons cependant de nous en tenir à cette aventure, fort galamment menée d’ailleurs par Mme Carvalho dans le page et Mlle Battu dans la comtesse. Un seul répertoire, le nôtre, nous suffit ; deux répertoires encombreraient la place, et c’est moins que jamais le moment de vouloir fusionner l’ancien Châtelet avec Favart. Mozart n’a pas besoin qu’on le mette ainsi dans ses meubles un peu partout. N’est-ce point d’ailleurs une sorte de disgrâce pour nos musiciens que cette préoccupation somptuaire qu’on n’affecte qu’à