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condition néanmoins que le meilleur de son temps et de ses ressources sera consacré au présent comme à l’avenir de notre école, et qu’on n’y abusera plus des traductions. N’empruntons à l’étranger que les œuvres qui s’imposent d’elles-mêmes à notre admiration, songeons aux sommes folles d’enthousiasme que nous avons dépensées au dehors depuis vingt ans pour des musiciens qui ne nous valaient pas. Connaître les autres est bien, se connaître soi-même doit cependant compter aussi, et j’aimerais à nous voir mieux pratiquer la maxime socratique. Avons-nous donc tant besoin des autres ? Un pays qui a produit Méhul, Boïeldieu, Hérold, Auber, dans le passé, qui s’adresse dans le présent à des hommes tels que MM. Thomas, Gounod, Félicien David, Victor Massé, Reber, est-il si déshérité qu’il ne puisse songer à vivre de son propre fonds ?

Pour l’avenir, j’en citerais déjà plus d’un qui s’efforcera d’y pourvoir. Aussi je voudrais qu’à l’Opéra-Comique la porte s’ouvrît aux jeunes moins étroite. Un acte est vraiment bien peu de chose ; encore cette faveur ne s’accorde qu’aux privilégiés, on ne l’obtient qu’après avoir donné des gages. Qui ne connaît la Mandolinata, cette chanson des salons, de la rue et des bois, dont la vogue s’est emparée et qu’elle promène partout ? En musique, il n’en faut pas davantage pour lancer un nom. M. Paladilhe était un prix de Rome des mieux pourvus d’antécédens honorables ; Halévy, qui l’affectionnait, ne cessait de le recommander à la critique, aux directeurs. Un motif heureusement et lestement tourné, que tout le monde chante, a plus fait pour lui ouvrir la carrière et que les fortes leçons du maître et que son amitié. Non point que cet opéra du Passant nous semble destiné à vivre de longs jours ; les partitions en un acte peuvent réussir à l’Opéra-Comique : le Chien du jardinier, Gilles ravisseur, la Double Échelle (qu’on devrait reprendre), et par-dessus tout les Noces de Jeannette, en sont la preuve ; mais le public de la maison exige que la petite pièce ait de l’intérêt. Aller mettre en musique le Passant de M. Coppée, singulière imagination ! Dans un cercle intime, très restreint, dans les salons de la princesse Mathilde par exemple, la chose eût jadis peut-être fait merveille, le public d’aujourd’hui n’en veut plus. Deux morceaux écrits d’une main sûre et très remarqués, l’introduction et le cantabile de Zanetto, n’ont pu conjurer l’ennui de cette élégie trop prolongée, et la Mandolinata même, vaincue par ce clair de lune qui s’éternise et l’implacable azur, a manqué l’effet de son feu d’artifice. M. Paladilhe a cru voir dans le Passant un sujet d’opéra-comique, c’est surtout un sujet de pendule.

Si rares que soient les amateurs de ce genre d’intermèdes, comme il en existe quelques-uns de par le monde, hâtons-nous, pendant qu’il en est temps encore, de leur recommander un autre acte de même venue : Djamileh. Un jeune Turc athée, libertin et monologuant à perte de vue, une esclave sensible, amoureuse de cet enfant du siècle,