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La carrière s’est élargie pour tous, nul effort sérieux ne doit être perdu ; l’assemblée nationale est pleine d’esprits honnêtes, compétens, résolus à surveiller partout ce qui se passe, les artistes le savent, et leur moral se raffermit ; qu’importe la lutte, si l’espoir de vaincre nous soutient ? Les burgraves qui naguère interceptaient la voie ont disparu, le favoritisme n’a plus de sens. A tout nom nouveau, l’heure est propice. Le danger, nous le connaissons bien ; il serait dans le mauvais vouloir des directeurs qui s’entêteraient à ne jamais sortir du répertoire ; mais, si engloutis qu’on les suppose, les cahiers des charges finiront pourtant par revenir sur l’eau. C’est donc une régénération qui se prépare. Qu’elle arrive, et nous y applaudirons de grand cœur, nous qui, depuis des années regardions progresser la ruine. En effet, nos théâtres de musique meurent littéralement de consomption, A l’Opéra, de même qu’à l’Opéra-Comique, au Théâtre-Lyrique et aux Italiens, les répertoires trop exploités ne rendent plus, et notez que le mal vient de loin. Nous voyons en petit une de ces crises qui dans l’histoire des peuples sont d’ordinaire le résultat de ce qu’on appelle les grands règnes. « Après moi, le déluge ! » les directeurs de théâtre qui se sont succédé depuis trente ans n’ont eu d’autre mot d’ordre. Pressés de faire fortune, ils tiraient du sol, à la hâte, tout ce qu’il leur pouvait donner, multipliant les récoltes, épuisant la terre sans l’améliorer, et pareils à des fermiers qui ne songent qu’à mener leur bail à bon terme. Aujourd’hui rien ne subsiste ; des compositeurs, s’il y en a, le public les ignore, et comment en serait-il autrement quand on ne joue et rejoue partout que le répertoire, quand on ne monte et remonte que les œuvres des maîtres ? « Qu’est cela, monsieur, vous m’apportez une partition ? Mais d’abord, qui êtes-vous ? Vous appelez-vous Meyerbeer, Auber, Halévy ? Non. Eh bien ! alors ne m’importunez pas davantage ; bonsoir ! » C’est ainsi que sous l’empire un aimable humoriste, dont les boutades se racontent encore, accueillait les naïfs candidats. Et les rieurs étaient de son côté, et c’était une mode du temps d’enregistrer les maximes les plus cyniques de cet homme d’esprit qui semblait n’occuper le poste où la sagesse du gouvernement l’avait placé que pour y faire le plus de mal possible. Quant à des chanteurs, le vrai, c’est que nous n’en avons plus. Les nôtres nous quittent, vont à Londres, à Pétersbourg, et, n’étant plus désormais assez riches pour les retenir, comment nous y prendrons-nous pour payer aux virtuoses étrangers les sommes folles qu’ils exigent ? Dans cette débâcle universelle, un seul moyen de salut nous reste : créer nous-mêmes les élémens de notre consommation, utiliser la grande usine nationale à façonner les produits bruts du sol, et nous arranger de manière que les. produits français, dûment élaborés, polis, affinés par nos soins, n’aillent pas ensuite enrichir à nos dépens les marchés européens.

Nous avons un conservatoire ; qu’il nous serve, que cette grande