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II.

L’empirisme est si vivace, la tradition si puissante, que, lorsque M. Bernard entreprit, il y a une vingtaine d’années, ses premiers travaux de thérapeutique scientifique et en expliqua les principes, il eut à lutter contre la résistance des plus célèbres médecins. Ceux-ci, parmi lesquels il faut citer Trousseau, — esprit merveilleusement brillant et souple, doué des plus éminentes facultés de l’artiste, qui remplaçaient chez lui celles du savant, — ceux-ci continuèrent à soutenir que l’action des remèdes ne peut pas être ramenée à des lois fixes, et que les opérations de la vie échappent à toute détermination précise. M. Claude Bernard a exposé plusieurs fois, dans cette Revue, les raisons victorieuses par lesquelles on réfute ces assertions peu philosophiques. Il a développé, dans plusieurs mémoires, les méthodes qui permettent de résoudre avec rigueur les problèmes de la thérapeutique, et il a joint l’exemple au précepte dans ses recherches sur le curare, l’oxyde de carbone, l’éther, la nicotine, les alcaloïdes de l’opium, etc. Ses méthodes sont l’application des règles mêmes du cartésianisme. « Il faut analyser, dit-il, les actions complexes et les réduire à des actions plus simples et exactement déterminées… Les expériences sur les animaux permettent seules de faire convenablement des analyses physiologiques qui éclaireront et expliqueront les effets médicamenteux qu’on observe chez l’homme. Nous voyons en effet que tout ce que nous constatons chez l’homme se retrouve chez les animaux, et vice versa, seulement avec des particularités que la diversité des organismes explique ; mais au fond la nature des actions physiologiques est la même. Il ne saurait en être autrement, car sans cela il n’y aurait jamais de science physiologique, ni de science médicale. » Un des plus éminens chirurgiens de notre temps, M. Sédillot, a de son côté démontré que la thérapeutique chirurgicale ne peut avoir d’autre fondement que l’invariabilité des phénomènes de la vie dans leurs rapports de causes à effets. Il a fait comprendre qu’il fallait établir l’art sur l’unité et la généralité de la science, au lieu de le laisser à la merci de la fantaisie individuelle. On voit maintenant de la façon la plus claire, grâce aux efforts de ces deux savans, comment peut être faite avec profit l’étude des ressources multiples auxquelles le médecin a recours pour le traitement des maladies.

Sous l’empire de ces idées, M. Bernard a étudié les divers principes actifs contenus dans l’opium, au point de vue de leur influence comparative sur les fonctions animales, et il a constaté qu’ils