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perdu une bataille, le prince Louis est tué. » Gentz se précipite, il s’informe, on ne lui répond que ces mots : le quartier-général est ici, le roi et la reine viennent d’arriver, la marche des troupes est suspendue, le duc fait former un camp, tout est dans la plus grande consternation. « À ces mots, dit-il, mes forces m’abandonnent ; quelques faibles débris d’espérance qui s’étaient cachés dans mon cœur disparaissent comme un rêve trompeur, et l’abîme s’ouvre devant moi. Le tourbillon me porte en avant ; j’arrive à ce qu’on appelle l’Esplanade. J’y vois trois ou quatre officiers de tout grade et de toute couleur. J’y vois aussi des hussards prussiens et saxons, plusieurs d’entre eux grièvement blessés. Je demande des nouvelles à droite et à gauche. J’apprends en même temps les nouvelles fâcheuses du corps de Tauentzien, attaqué le 9 près de Schleitz, et repoussé avec une perte considérable[1]. »

Le mécontentement et la méfiance se peignent sur toutes les figures ; les murmures éclatent partout. « On perd la tête[2], cela ira furieusement mal, » dit un officier supérieur. « Bientôt, dit Kalkreuth, nous compterons non plus par jours, mais par heures. » Le roi s’enferme et ne veut voir personne. On ne s’aborde que les larmes aux yeux. « Ce qu’il y avait de désolant, c’était l’ignorance profonde dans laquelle on se trouvait sur les projets et les mouvemens de l’ennemi[3]. On ne savait pas même quelle direction donner à ses craintes. Le soir, une députation d’officiers vient trouver Kalkreuth. « Le roi, disent-ils, ignore l’état des choses, le duc de Brunswick ne sait absolument plus ni ce qu’il fait, ni ce qu’il veut faire, ni où il est, ni où il va ; son projet de camp, son mouvement rétrograde sont une faute sans remède, il s’est brouillé à propos de cette mesure avec son confident habituel Scharnhorst. Le roi a perdu déjà la moitié de la couronne ; il perdra incessamment l’autre

  1. Les choses se passèrent ainsi à Metz le 6 août. « Au moment même où avait lieu le combat de Spickeren (6 août, général Frossard), se livrait la terrible bataille de Reichshoffen ; le corps du maréchal de Mac-Mahon y était anéanti et entraînait dans sa déroute celui du général de Failly. La Lorraine et l’Alsace étaient envahies à la fois, et deux armées prussiennes qu’allait suivre une troisième marchaient de concert pour se réunir de ce côté-ci des Vosges. » — Metz, p. 50.
  2. « Ces désastres simultanés avaient atterré le quartier-général, où l’on ne savait plus que faire en présence d’une situation presque perdue au début… Le spectacle auquel l’armée assista pendant les quelques jours qui suivirent aurait suffi à lui seul pour la démoraliser à jamais. » — Id.
  3. « Après le petit combat de Sarrebrück, qui méritait à peine les honneurs d’un bulletin, on retrouve les mêmes faiblesses, les mêmes incertitudes, le même manque de décision et d’énergie. On ne s’occupa pas davantage de savoir où était l’ennemi, ni ce qu’il faisait ; sa présence était-elle constatée, on se gardait bien de l’aller chercher, et l’on vécut ainsi au jour le jour, en attendant les événemens, sans vouloir rien prévoir. » — Id., p. 28.