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et de Cuença une grande quantité de quinquina que la vice-reine distribua elle-même aux habitans, et qui fut depuis lors appelé poudre de la comtesse[1]. En 1640, del Cinchon revint en Espagne, et son médecin, Juan del Vego, rapportait une cargaison considérable de l’écorce fébrifuge qu’il vendit fort cher. Les jésuites espagnols en firent bientôt l’objet d’un commerce lucratif, et c’est ainsi qu’elle entra dans la pharmacopée d’Europe. Cependant l’usage n’en fut point d’abord très commun. En 1679, un médecin anglais du nom de Talbot fit prendre un remède secret au fils de Louis XIV qui avait des accès rebelles de fièvre intermittente. Le dauphin recouvra très vite la santé, acheta le secret de Talbot au prix de 48,000 livres, et accorda une pension viagère à ce médecin. En outre le remède, qui n’était qu’une teinture vineuse de quinquina, fut publié par les soins du monarque. De même que l’émétique, l’écorce du Pérou donna lieu dans les écoles à de longues disputes, auxquelles, chose singulière, vinrent se mêler des passions politiques et religieuses ; mais le quinquina triompha de toutes les oppositions, et, grâce aux efforts de Sydenham, de Morton et de Torti, tous les praticiens s’accordèrent bientôt à en reconnaître les vertus bienfaisantes.

L’ipécacuanha fut apporté et employé pour la première fois en France en 1672 par un médecin nommé Legras, qui revenait du Brésil. Celui-ci ne sut point faire apprécier les énergiques propriétés purgatives et vomitives de cette racine. Quelques années plus tard, un autre médecin beaucoup plus entreprenant, Adrien Helvétius, résolut de faire fortune avec cette drogue. Il placarda dans les rues de Paris des affiches annonçant un remède infaillible contre la dyssenterie. Par une coïncidence heureuse pour lui, plusieurs gentilshommes de la cour et le dauphin lui-même, fils de Louis XIV, étaient alors atteints de cette maladie. Le roi, informé par Colbert du secret d’Helvétius, chargea un de ses médecins d’entrer en arrangemens avec le possesseur du spécifique. La drogue fut d’abord essayée dans les salles de l’Hôtel-Dieu ; une fois que l’efficacité en eut été bien constatée, on compta 1,000 louis d’or à Helvétius sans préjudice des dignités médicales auxquelles on se réservait de l’élever plus tard. L’ipéca se répandit très vite en France et dans le reste de l’Europe ; Leibniz lui-même ne dédaigna point d’en faire un chaleureux éloge. Il est à remarquer d’ailleurs que presque tous les grands métaphysiciens se sont occupés de médecine. Descartes, Malebranche, Berkeley, non-seulement étaient versés dans cette

  1. La Condamine donna, un siècle plus tard, en 1738, la première description complète de l’arbre qui fournit le quinquina. Son travail servit de base à Linné pour déterminer les caractères du genre, auquel il donna le nom de cinchona, en souvenir de la comtesse del Cinchon.