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la théosophie et de la cabale, mais au fond c’était un esprit parfaitement émancipé, auquel on pardonne sa jactance en souvenir de l’opposition qu’il rencontra, et sa folie apparente quand on songe à la justesse de ses idées fondamentales.

Le XVIIe siècle, qui a été la plus belle époque du progrès des sciences et de la grandeur littéraire, vit la thérapeutique s’enrichir de remèdes héroïques : l’émétique, le quinquina, l’ipéca. L’emploi de ces drogues a été inauguré dans des circonstances particulières auxquelles se rattachent les épisodes les plus curieux de l’histoire de la médecine. Divers composés d’antimoine, comme nous l’avons vu, avaient été employés avant le XVIIe siècle, mais le plus précieux de tous, l’émétique ou tartre stibié, fut préparé pour la première fois vers 1630. La découverte et l’usage de ce nouveau composé antimonial firent renaître d’anciennes disputes ; pendant longtemps, il donna lieu, entre les médecins et dans la Faculté, aux discussions les plus acharnées et quelquefois les plus comiques. Tandis qu’Eusèbe Renaudot publiait en 1653 l’Antimoine Justifié et l’antimoine triomphant, Jacques Perreau ripostait en 1654 par le Rabat-joie de l’antimoine triomphant d’Eusèbe Renaudot ; Perreau affirmait qu’un religieux, voulant purger les frères de son couvent avec le remède en question, ne parvint qu’à les empoisonner tous, d’où le nom d’antimoine. La querelle s’envenima bien davantage quand un des esprits les plus mordans, mais aussi les plus réactionnaires d’alors, le même qui niait la circulation du sang, le fameux Gui-Patin, vint joindre ses sarcasmes à ceux des détracteurs de l’émétique. Il ne désignait le tartre stibié que sous le nom de tartre stygié, le tenant pour aussi funeste que les eaux du Styx, dont il lui semblait provenir. Cependant Louis XIV, à qui ses médecins osèrent en prescrire une assez forte dose pendant une maladie qu’il eut à Calais, s’en trouva bien. Ce fut un échec sérieux pour les adversaires de l’antimoine.

Le nom du grand roi est lié aussi à l’introduction mémorable de deux autres remèdes importans dans la thérapeutique, le quinquina et l’ipéca. Le quinquina croît spontanément et en abondance dans les forêts de la Cordillère. Il est probable que ses propriétés fébrifuges étaient utilisées depuis longtemps par les indigènes de ces contrées, lorsqu’en 1638 le corregidor de Loxa l’administra pour la première fois à la comtesse del Cinchon, vice-reine espagnole au Pérou. Cette dame était atteinte d’une fièvre tierce très opiniâtre dont le médicament triompha sans peine. Aussitôt que cette cure merveilleuse fut connue dans la ville, les bourgeois de Lima envoyèrent des députés au vice-roi pour le prier de répandre le nouveau médicament. Leurs vœux furent écoutés. On fit venir de Loxa