Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/657

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

modifié quant au fond, elle édictait des dispositions nouvelles, excluant des listes électorales un grand nombre de citoyens inscrits depuis longtemps. Elle n’osait pas ou ne voulait pas instituer le scrutin secret réclamé par beaucoup d’esprits modérés. Pour rendre moins fréquens les désordres de la période électorale, elle portait la durée de la diète à cinq ans au lieu de trois, tandis que d’autre part elle réduisait de trois mois à un mois l’intervalle exigé entre ; la convocation et les élections, toutes mesures désagréables aux diverses nuances opposantes. Au total, avec des améliorations de détail incontestables, c’était un projet timide et maladroit.

M. Tisza, déclara que ses amis et lui combattraient le projet du gouvernement, et ne dissimula nullement ses motifs. Il ne voulait pas d’une loi qui privait de leurs droits des milliers d’électeurs, appartenant pour la plupart, n’oublions pas d’en faire la remarque, à l’une ou l’autre opposition. Il reprocha aux réformes proposées, ou aux prétendues réformes, de conserver tous les mauvais élémens de la loi de 1848, et de tout faire pour enraciner ou pour rendre plus graves les abus qu’elle prétendait corriger. Nul doute que l’hostilité du centre gauche ne fût sincère ; sur le point d’être privé d’une partie considérable de ses électeurs et de voir attribuer à la diète une durée de cinq ans, alors que chaque élection triennale lui fait gagner du terrain, il était profondément irrité. Pourtant sa situation était fausse, car il ne se souciait pas de faire appel aux passions démocratiques ; les élémens dont il se compose sont plutôt anti-autrichiens que populaires, il a en horreur le suffrage universel, que M. Ghyczy par exemple a combattu jusqu’au bout. L’extrême gauche était bien plus à son aise pour opposer à la loi ministérielle un plan radical. Dès le 22 février, M. Irányi déposait son contre-projet. Après de vigoureux considérans dirigés contre M. Toth et la droite réactionnaire, l’ami de Kossuth demanda le suffrage universel, le scrutin secret, des circonscriptions électorales proportionnelles à la population, et des dispositions pénales contre toute personne qui par corruption ou par menaces aurait porté atteinte à la liberté et à la pureté des élections. Un tel projet, qui rompait si brusquement avec de vieilles institutions chères à la majorité des citoyens, n’avait pas de chances sérieuses d’adoption ; mais le gouvernement allait-il être plus heureux ? Les électeurs peu fortunés qu’il se proposait de rayer des listes étant pour la plupart des Roumains ou des Slaves, la question des races n’allait-elle pas soulever contre lui une coalition formidable ?

Pendant quinze jours, la lutte parlementaire fut vive, sans offrir un caractère, particulièrement orageux ; il s’agissait de l’ensemble du projet, sur lequel, on devait voter avant de passer à l’examen