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l’élection, refusa longtemps au gouvernement et à la juridiction suprême la mise en liberté de son rival. Mieux vaut mille fois un peu de centralisation que de pareils abus de la liberté provinciale. La majorité a pensé de même ; elle n’a pas craint de confier au gouvernement le soin de composer les tribunaux ; elle n’a pas hésité à soustraire les juges à toute pression politique, et à soulever par là les colères de l’opposition, notamment du centre gauche, à quelques égards très conservateur. Toutefois ces réformes et ces bonnes intentions n’empêchent pas que le parti Deák et le dualisme, qui est son œuvre, ne soient sérieusement ébranlés ; les discussions de ces derniers mois en fourniront la preuve.


III

Ce qui fait la gravité des luttes parlementaires dont le récit va suivre, c’est qu’au fond il s’agit moins de budget ou de réformes que d’union avec l’Autriche ou de séparation complète. Cette question primordiale se dresse à chaque instant, que l’on parle de l’armée, des finances ou de l’instruction publique. Chacun a pu s’en apercevoir lorsqu’au milieu de janvier le comte Lonyay a présenté le budget de la défense nationale comme ministre provisoire de ce département. On sait que M. de Beust, en créant un ministère commun pour l’armée austro-hongroise, a laissé à chacune des moitiés de l’empire, situées l’une en-deçà, l’autre au-delà de la Leitha, une administration spéciale pour la levée et l’instruction des milices, et que cette administration porte en Hongrie le nom de ministère du honvédelem (défense de la patrie). Il faut avouer que c’est là une dangereuse complication, et l’on comprend la tentation qu’éprouvent les Magyars de la résoudre à leur profit en obtenant leur complète indépendance militaire. L’opinion publique penche incontestablement vers cette solution ; devenir un état indépendant (független állam), c’est le désir exprimé par des journaux même très modérés. Le glorieux passé de la Hongrie, profondément gravé dans ces mémoires tenaces, enseigne aux descendans des Hunyade une ambition légitime. Nous ne voulons pas quelque chose de nouveau, disent-ils, nous voulons seulement être ce que nous avons été pendant six siècles. Ils pourraient ajouter que, même depuis le désastre de Mohacs et les conquêtes de Soliman le Magnifique, leurs ancêtres ont toujours revendiqué le droit d’avoir une armée séparée, de se lever spontanément en insurrection (c’était le mot officiel) ; Marie-Thérèse a dû son salut à ces dispositions belliqueuses.

L’opposition a beaucoup insisté sur la nécessité où se trouvait le pays et sur le devoir auquel ne pouvait se dérober le gouverneraient d’arriver à une séparation absolue de l’armée magyare et de